À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Pieter, le fils adoptif du vieux Johann Havel, a été battu pour un vol qu’il n’a pas commis. Il rampe dans une ruelle pour retourner chez lui et, attaqué par des guêpes, est secouru par Anna Holz, la fille de riches bourgeois de Wessendam. Pieter quitte la maison après qu’Anna lui ait déclaré que Stefan, son domestique préféré, est sûrement son père : ils se ressemblent tant. Le prince Radulf, héritier du trône, venu visiter les Holtz, éprouve une immédiate et incompréhensible passion pour Anna, qui se fiance avec lui contre son gré. Elle vient rendre visite à Pieter chez Johann Havel, désespérée, comme Pieter, de ces fiançailles. Le vieil inventeur lui propose de l’aider grâce à sa machine temporelle, elle accepte, Pieter la suit, un saut de dix-huit ans en arrière dans le temps. Hélas, Anna meurt plus tard en donnant naissance à leur enfant mort-né.
Sous le nom de Stefan, Pieter se fait engager comme domestique dans la maison des Holtz ; il y devient le confident d’Anna et, lorsqu’elle lui demande où trouver Pieter, il lui donne l’adresse de Johann Havel. Le lendemain de la disparition d’Anna, il se rend chez l’inventeur qui l’assied à son tour dans sa machine temporelle. Revenu en arrière, Stefan s’en va acheter une maison sous le nom de Johann Havel, où il commence à apprendre la mécanique. Quelques années plus tard, il adopte un petit orphelin nommé Pieter. Pendant vingt ans, Johann Havel travaille à reconstituer la machine temporelle, accueille Anna, l’envoie dans le passé avec Pieter, reçoit la visite musclée des hommes du Dynaste, puis celle de Stefan. Mais il sent que « la main de Chronos » ne s’est pas encore desserrée sur lui.
Radulf devient Dynaste à son tour mais ne peut se guérir du chagrin d’avoir si incompréhensiblement perdu Anna. Des années plus tard, atteint d’une maladie mortelle, il reçoit la visite de Johann Havel, qui lui promet de retrouver Anna et le fait asseoir à son tour dans sa machine temporelle ; il assiste ainsi à la fuite d’Anna et de Pieter. Lorsqu’il déclare qu’il utilisera la machine temporelle de Havel pour les retrouver, celui-ci lui déclare qu’une telle machine n’existe pas : « Il n’y a dans l’univers que l’amour, la volonté et la mort. » Le Dynaste meurt peu près, sans héritier, ce qui amène un changement bienvenu de régime, et Havel lui-même meurt trois ans plus tard.
Et pourtant la machine temporelle fonctionne encore. Car depuis sa pièce ignorée où s’accumule doucement la poussière, entraînant à sa suite le Palais du Peuple, la ville de Wessendam et la Neuerlande tout entière, elle progresse lentement, à la vitesse d’une seconde par seconde, vers un avenir dont plus rien n’est écrit.
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Commentaires
J’ai tenu à citer le dernier paragraphe de l’épilogue car il me semble donner la clé du texte, lequel est moins une histoire de machine à voyager dans le temps qu’une réflexion douce-amère sur le motif du voyage dans le temps tel que traité dans la science-fiction classique avant l’invention des univers parallèles, alors qu’on essayait les différentes positions possibles pour échapper au paradoxe temporel du Voyageur imprudent de Barjavel (le petit-fils qui tue son grand-père avant la naissance de son propre père). L’un de ces sous-motifs, qui a connu et connaît encore un vif succès, était celui du « cercle vicieux » : c’est parce qu’on est allé dans le passé… qu’on est allé dans le passé. L’histoire, individuelle ou collective, est immuable, on ne peut rien y changer quels que soient les tripatouillages auxquels on veut se livrer dans le passé : une conclusion hautement conservatrice (au sens strict du mot) qui constitue un affront intellectuel à la science-fiction elle-même, dont l’un des mots-clés est « changement ». Mais aussi une structure narrative très proche de la structure récurrente du fantastique, et qui permet comme elle des effets d’ironie absurde auxquels bien des auteurs n’ont pu résister. On songe par exemple à la célèbre nouvelle de Robert Heinlein, « All you Zombies », où le narrateur se trouve être à la fois son père, sa mère, son fils et l’agent temporel qui le recrute.
C’est aussi le cas ici, à l’exception de l’incarnation maternelle : pas de changement de sexe science-fictionnel dans le récit de Meynard, qui a choisi de jouer justement sur le registre proprement fantastique, sinon du motif, du moins de son ambiance… fantasmatique, pourrait-on dire. Évoquant à la fois Hoffmann et Poe, les lieux choisis l’indiquent clairement (une ville à consonance germanique dans un pays imaginaire), ainsi que les noms (la Ligieastrasse, où vit l’inventeur un peu fou Johann Havel) ; on pourrait dire « steampunk » mais ce serait retirer à ce texte tout en demi-teintes une partie de son originalité, son atmosphère archaïque nuancée de gris et d’or et l’impression de fatalité qui se dégage de sa structure savamment tourbillonnaire : d’une section à l’autre, on y passe sans heurt de Pieter à Stefan à Johann, en revisitant d’un point de vue différent chacun des segments de l’intrigue exposée dans la première partie.
Mais je dis « tourbillonnaire » et non « circulaire », ce qui serait la structure narrative proprement fantastique. En effet, la conclusion et, surtout, l’épilogue nous arrachent par un effet quasi télescopique à la fatalité fantastique, ou à l’ironie de la science-fiction classique encore mal dégagée de cette mécanique, pour nous ramener à nous, lecteurs, ici, maintenant, et nous rappeler le credo véritable de la science-fiction : l’avenir est libre et à faire parce que – clin d’œil de l’auteur, mais sérieux en même temps – il n’est pas encore écrit, et que la véritable machine temporelle, c’est nous qui en tenons le volant, « à la vitesse d’une seconde par seconde ». [ÉV]
- Source : L'ASFFQ 1993, Alire, p. 135-137.
Prix et mentions
Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois 1994