À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Le Colonel Bolrick, un impitoyable psychopathe, exerce un contrôle absolu sur un groupe de créatures génétiquement modifiées, créées afin de servir d’armes de combat pour l’armée américaine. La loyauté de son hybride préféré, un tueur humanoïde qui répond au nom de César, sera mise à rude épreuve lors d’une dernière étape de qualification au cours de laquelle l’hybride se découvrira un fort lien d’appartenance avec ses congénères.
Commentaires
Notons, en tout premier lieu, que ce drame de science-fiction constitue le deuxième volet autonome d’un diptyque, mis en scène expressément pour le Musée d’art contemporain de Montréal. Disons ensuite qu’il nous manque sans doute l’apport de quelques-uns de nos sens, dont l’ouïe et la vue, pour apprécier cette pièce de théâtre dont les deux thèmes principaux sont la génétique et le pouvoir.
Le but avoué de l’œuvre est de dénoncer les dangers d’une « génétique mal intentionnée », et à ce titre, le résultat est cohérent avec ce qui était annoncé. Les traits caractéristiques des personnages ont été soigneusement choisis en fonction d’objectifs militaires crédibles, soit pour leur agilité, leur force physique, leur résistance dans des conditions extrêmes. L’hybride Phénix, si elle n’était prisonnière de la base militaire, pourrait voler et résisterait aux flammes ; Tarentor pourrait survivre très longtemps sans une goutte d’eau en climat désertique, et se mouvoir sur les pires terrains escarpés ; Amphibé se révélerait doué dans les régions humides et marécageuses ; alors que Scarabée verrait sans difficulté dans l’obscurité la plus totale… Mentionnons toutefois que Phénix, le tout premier spécimen, se révèle dotée d’une trop grande intelligence, ce qui causera la perte du projet secret mené par le Colonel et la fermeture du laboratoire. Sur ce plan, l’univers futuriste mis en place nous est apparu correctement réussi.
Mais bien que cela soit justifié – après tout, les hybrides qui échangent entre eux ou avec les gardiens sont des reclus ayant bénéficié d’une éducation sommaire, limitée à quelques manœuvres physiques et à des cours d’obéissance –, difficile de s’empêcher de déplorer la pauvreté des dialogues, qui se présentent souvent de la sorte : « La sentinelle se taire ! » Comme il est question d’une pièce de théâtre, dans laquelle l’essentiel du contenu passe par les dialogues, cela finit par demander un certain effort au lecteur pour jouer le jeu jusqu’au bout.
Un autre élément vient affaiblir la solidité de l’intrigue, selon nous, c’est que César comprend vraiment tard qu’il est un hybride (seulement lorsqu’il entre en contact avec les autres, vers la fin du drame, et il y réagit très fortement)… alors qu’il y avait de très nombreux indices de ce fait dès le tout début de la pièce. Par exemple, voici un échange entre le Colonel et César : « (Bolrik) J’ai consacré mon existence à façonner ta conception […]. Pour le Haut Commandement, tu n’es qu’un produit de laboratoire, un jouet, une arme de guerre sophistiquée… » On compte d’autres indices assez révélateurs quelques lignes plus loin : « Nous commanderons une armée de spécimens engendrés à ton image. […] Tu portes en toi, César, les gènes d’une nouvelle race. » Faut-il saisir que César était passé à côté de toutes ces allusions ? Il avait pourtant un minimum de capacités intellectuelles, car il entrait déjà en communication télépathique avec Phénix à ce moment, bien que cela se faisait d’une manière plutôt instinctive et qu’il rêvait à demi. Devrions-nous laisser aux auteurs le bénéfice du doute, compte tenu que César a été créé après le prototype Phénix, et que le problème du surcroît d’intelligence qui affectait cette dernière aurait été corrigé sur les hybrides suivants ? Ou bien la surprise de César relevait plutôt de la confirmation qu’il n’était pas seul, qu’il y avait bien d’autres hybrides comme lui, et surtout, qu’il était bienvenu parmi eux. C’est possible également.
En définitive, on sent probablement à travers ces lignes un léger manque d’enthousiasme. Qui étaient les destinataires de la pièce ? me suis-je quelquefois demandé. Ceux qui fréquentaient le Musée, certainement, mais encore ? Probablement pas des amateurs de science-fiction pure et dure, car ils auraient eu, croyons-nous, peu de matière à se mettre sous la dent. L’idée de créer des individus physiquement supérieurs, mais sans imagination, sans émotions, et idéalement sans détermination personnelle (comme une coquille vide à programmer) n’était certainement pas nouvelle, même au milieu de la décennie 1990. Elle a cependant été maintes fois reprise depuis, avec plus ou moins de génie selon les cas, autant en littérature qu’au théâtre ou au cinéma. [MEL]
- Source : L'ASFFQ 1995, Alire, p. 31-32.