À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Le narrateur raconte son voyage à la lune après avoir expliqué comment il a fait le trajet, monté sur son cheval Griffon. En compagnie d’une guide autochtone, Bavardine, il observe les mœurs des habitants de la Lune, leur mode de vie et leur organisation sociale.
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« Mon voyage à la lune » de Napoléon Aubin est le premier texte de SF dans l’histoire littéraire du Québec. Si ce texte appartient à ce genre, ce n’est pas en raison de son caractère scientifique mais plutôt parce qu’il introduit la distanciation propre au genre en mettant en scène l’autre. Le procédé qui permet au narrateur de se rendre sur la Lune est en effet tout à fait farfelu : il fait ingurgiter à son cheval un mélange de gaz hilarant et de gaz hydrogène.
Le texte d’Aubin puise son inspiration dans la tradition européenne de Cyrano de Bergerac, de Voltaire et de Swift. Il ne faut pas oublier que l’auteur est né en Suisse romande. Il utilise dans son récit une forme très libre qui est un mélange de satire sociale et de journal intime.
Aubin est un féroce pamphlétaire qui exerce son ironie sur les mœurs sociales de son époque. Il décoche quelques flèches bien senties aux médecins (à la façon de Molière), aux riches parvenus et aux administrateurs de la justice. Aubin a le sens de la formule lapidaire : « Nous n’avons pas qu’une justice ; nos tribunaux en rendent deux : la justice des riches et la justice des pauvres. Ainsi nous pouvons dire qu’il y a de la justice pour tout le monde, avec cette seule différence que celle des riches est la bonne et ne coûte rien tandis que celle des pauvres n’est que de mauvaise qualité et coûte fort cher. C’est dans l’ordre : les riches ont toujours raison ; les pauvres ont toujours tort ; les premiers ont raison d’être riches, et les autres ont tort d’être pauvres. On donne aux riches l’autorité de la raison ; mais on vend aux pauvres la raison de l’autorité. »
« Mon voyage à la lune » tient lieu aussi de journal intime dans lequel Aubin règle ses comptes avec les autorités judiciaires de l’époque qui tentent de museler la liberté d’expression. Au début de chaque épisode, on peut lire une chronique de ses démêlés avec la justice. Le Fantasque, son journal, cessera d’ailleurs de paraître après le sixième épisode de son conte philosophique.
La satire d’Aubin met en place une structure narrative que les auteurs de la première moitié du XXe siècle utiliseront dans leurs utopies. Le narrateur est pris en charge par un guide qui lui fait découvrir la société nouvelle. Ce procédé donne un récit très statique d’où toute action est absente. Sous prétexte de décrire les mœurs des habitants de la Lune, Aubin raille ainsi les comportements humains de ses contemporains. L’auteur n’épargne certes personne mais sa dénonciation a souvent des relents de misogynie, du moins aux yeux du lecteur d’aujourd’hui.
Le texte d’Aubin démontre qu’il était plus qu’un écrivain : c’était aussi un libre penseur comme le siècle des Lumières en a donné plusieurs en France. [CJ]
- Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 27-28.