À propos de cette édition

Éditeur
Québec/Amérique
Titre et numéro de la collection
Clip - 14
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
243
Lieu
Montréal
Année de parution
1993
ISBN
9782890376601
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Commentaires

Ce recueil débute par deux excellentes nouvelles, « Monsieur n’importe qui » et « Le Dernier Saumon rose », qui expriment avec finesse la désillusion des jeunes adultes face à un monde qui se prête si facilement à la satire. « Monsieur n’importe qui » fait le tour en quelques pages de la tension entre l’individualité et le conformisme dans les sociétés modernes où même la rébellion devient une option. « Le Dernier Saumon rose » se moque gentiment des écologistes et des politiciens qui défendent l’environnement haut et fort sans jamais agir. C’est après ces deux textes, relativement brefs, que ça se gâte.

D’abord, Lazure essaie d’exploiter la même veine dans « Nirvana cathodique », mais le rapprochement entre l’incubateur cathodique de Vagline – qui rappelle les appareils décrits par Bradbury dans Fahrenheit 451 – et l’environnement télévisuel d’aujourd’hui est plus pénible qu’intéressant. La fin est banale et la narration est dénuée de la fantaisie qui faisait la force des deux premiers textes du recueil.

« Le Royaume hostile » et « La Vallée pourpre » sont deux des plus longs textes de ce recueil, et ils relèvent de la science-fiction. Or, Jacques Lazure n’a aucune affinité avec la science-fiction sérieuse. « Le Royaume hostile » fourmille d’invraisemblances scientifiques et d’énormités – il est question de coloniser un astéroïde semblable à la Terre ! – qu’il serait lassant d’énumérer ici. L’histoire de « La Vallée pourpre » est un peu plus intéressante, car les hommes de pierre dont le détenu Maxil doit prendre soin sont des créatures ambiguës, au mode de vie complexe et fascinant. Cependant, la révélation de leur exploitation par les humains et le triste sort qui échoit à Maxil, personnage plutôt falot, n’ont rien de très original.

Si Jacques Lazure démontre ainsi qu’il peut écrire des nouvelles de science-fiction platement éculée, les nouvelles « Les Yeux du diable » et « L’Araignée bleue » prouvent qu’il peut aussi écrire du fantastique éculé. Dans « Les Yeux du diable », les membres du groupe Dégâts d’âme ont signé à leur insu un contrat avec le diable, qui joue le rôle de leur gérant, et qui leur assure un certain succès. Toutefois, les pistes tracées par l’auteur ne convergent pas. Les yeux subliminaux du diable apparaissent à l’arrière de la scène mais on ignore pourquoi ; de plus, ce groupe pourtant aidé par Satan lui-même connaît un insuccès grandissant jusqu’à sa disparition. La fin est banale et ne rajoute presque rien à ce qu’un lecteur attentif aura subodoré. Le propos de « L’Araignée bleue » est encore plus insignifiant : une araignée bleue habite les rêves de plus en plus de personnes, jusqu’à se matérialiser pour les tuer, mais rien n’explique pourquoi c’est une araignée bleue, pourquoi c’est le premier rêve à se matérialiser ainsi et d’où provient un tel phantasme.

La nouvelle « L’Âge du sodium » est plus intéressante, quoique tout aussi obscure. C’est du fantastique à l’état pur, et la mort de Valène qui attend les humains Noirs du huitième âge assure à l’histoire la symétrie voulue, mais ce n’est en fin de compte que l’esquisse d’une fin du monde.

C’est la dernière nouvelle – réaliste celle-là, « Eschmalda, l’autre monde » – qui rend au recueil un peu de l’intérêt suscité par les premiers textes. Les aventures d’Azul dans une ville en proie aux attentats et à la guerre civile ont une portée humaine qui n’est pas atténuée par le cadre fantaisiste. Le jeune Azul a une immense soif de paix et d’évasion, qui le pousse à protéger un membre de la minorité persécutée des Éclatants pour le vendre comme esclave, à piller les maisons endommagées par des attentats et même à commettre un crime afin d’obtenir la somme qui lui permettrait de quitter sa patrie dévastée. Reflet d’un monde où des choix aussi cruels se posent chaque jour dans des pays déchirés, cette nouvelle n’esquive pas le tragique de la situation. À la fin, le lecteur ne sait plus s’il doit se réjouir du fait qu’Azul a retrouvé une partie de son innocence en perdant son rêve et ses espoirs de liberté.

Du point de vue d’un lecteur adulte, les meilleures nouvelles de ce recueil sont justement celles qui comportent une certaine saveur politique qui pourrait détourner l’intérêt des lecteurs plus jeunes. Par contre, les textes de science-fiction et de fantastique classiques pourraient séduire des lecteurs inexpérimentés, mais les thèmes utilisés par Lazure sont trop usés pour vraiment piquer la curiosité de lecteurs plus aguerris. C’est donc un recueil qui oscille entre plusieurs pôles : science-fiction et fantastique, redites et originalité, recyclage des thèmes et satire politique rafraîchissante…

En fait, c’est bien à cela que l’on pourrait s’attendre d’un auteur dont le roman le plus marquant, Le Domaine des Sans Yeux, tirait sa force de la description d’un monde impitoyable caractérisé par l’oppression et l’aspiration à un monde meilleur même sans l’espoir de l’atteindre. Cependant, quand la critique sociale et le style fantaisiste de Lazure ne sont pas au rendez-vous, ses textes tombent à plat. Malgré l’étrangeté du décor et l’intrigue qui rappelle justement celle du Domaine des Sans Yeux, « La Vallée pourpre » se révèle un échec parce que le personnage principal n’a aucune consistance : on ne sait même pas s’il est coupable des crimes pour lesquels il a été condamné, ni même quels étaient ces crimes. Comme dans certains romans de SF française, les inventions de Lazure ne fonctionnent qu’au niveau des apparences. Il n’y a pas de logique sous-jacente, et l’inculture scientifique de Lazure lui fait commettre des bourdes affligeantes.

L’hétérogénéité des nouvelles de ce recueil impose un jugement mitigé. Lazure a combiné trois excellentes nouvelles avec des textes qui servent surtout à obtenir le nombre de pages requis pour en faire un livre. Le résultat se laisse lire avec un curieux mélange de délectation et d’exaspération. Une direction littéraire plus sévère aurait peut-être pu rétablir l’équilibre compromis du recueil. Chose certaine, ce livre n’est pas à la hauteur des œuvres précédentes de Lazure. [JLT]

  • Source : L'ASFFQ 1993, Alire, p. 117-120.

Références

  • Anonyme, Littérature québécoise pour la jeunesse 1993, p. 36.
  • Anctil, Mélissa, imagine… 67, p. 198-199.
  • Lortie, Alain, Solaris 108, p. 59-60.
  • Meynard, Yves, Lurelu, vol. 17, n˚ 1, p. 27.
  • Sarfati, Sonia, La Presse, 27-02-1994, p. B6.