À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Léonard de Vinci et son modèle, mâle brillant et cultivé, s’en donnent à pleines mâchoires pendant les quatre ans que dure l’illustration de la Joconde : théories philosophiques et scientifiques où l’on s’interroge sur la vraie couleur du caméléon, où l’on élabore les plans les plus farfelus, dont une machine à explorer le temps, jusqu’à l’invention d’un p’tit gueuleton vite fait après avoir attendu un steak de sanglier pendant trois heures à la taverne du coin. À défaut de bouffer, on boit. C’est dans cette ambiance embuée que naît le prototype du hamburger !
Parallèlement, au XXVIe siècle, la lutte à la présidence des États Eunuques d’Amérique est chaude. Ronald Duck, l’actuel président, craint un revers de la Libre Entreprise et axe sa campagne électorale sur une récente découverte archéologique : les plans d’une machine à voyager dans le temps avec, gribouillée au bas, une esquisse de ce qui ressemble aux vrais hamburgers de l’ancien temps. Son plan est simple : construire la machine, retourner dans le passé, fabriquer les hamburgers sur place, puisqu’on n’a plus aucun bœuf sur Terre depuis belle lurette, et rapporter cette production au siècle actuel. Cependant, son rival, Eddy Ken, le plus jeune des sénateurs, entend bien devenir le prochain président. Tous les moyens sont bons, même la psyraterie.
Soudain, se matérialise devant les esprits brumeux de Léonard de Vinci et son copain un restaurant McDo. Ils y entrent, actionnent la boîte aux signes cabalistiques lumineux et sont transportés en l’an 33, en plein jardin de Gethsémani, le Christ au milieu avec Judas à ses trousses. Ils enlèvent Jésus, question de lui donner un coup de main. Ils se retrouvent ensuite en 1857, dans un parc où nul autre que Karl Marx en personne se promène. Intrigué, Marx décide de poursuivre le voyage avec eux, question de vérifier ses hypothèses sur le développement de l’Histoire. Malmenée, la machine se détraque et ils se temporalisent au XXe siècle, dans la chambre froide du McDonald’s où Jeannine Jobin, étudiante calée en électronique, bricolait un circuit du micro-ondes pour tenter de capter MTV.
La concertation de tout ce beau monde finira par bousiller les élections présidentielles et créer des ratées dans l’Histoire. N’y tenant plus, le temps bat de l’aile.
Commentaires
Une histoire folle ? Complètement, mais originale, intelligente et spirituelle. Pleine d’anachronismes temporels ? Qu’à cela ne tienne ; l’auteur recommande dès le début de nous en accommoder. Sommes en pleine fiction, n’s’pas ! Difficile à suivre ? Pas vraiment. Faut bien prendre les virages. Reste que c’est pas un circuit pour enfants d’école. Vitesse minimum : 130 km/h ; si vous êtes doté d’une solide expérience en slalom dans les méandres du cortex, vous devriez vous en tirer à peu de frais. Il y aura peut-être bien quelques égratignures aux illusions qui ont résisté aux intempéries de la vie, un ou deux diachylons à appliquer sur les plaies infligées à l’orgueil – mal placé ? – mais vous reprendrez vite la forme. D’ailleurs, la route est bien balisée. Michaud, bon joueur et soucieux de retrouver tout son monde à l’arrivée, distribue au besoin les signaux avancés de passages dangereux et de tournants difficiles.
Et l’humour ? C’est pas le genre de la peau de banane, ni du lacet de bottine ou de la tarte à la crème « qui sévit dans les faubourgs » comme il dit. Faudra pas hésiter à aller plus loin, deuxième niveau en montant. Au besoin, prenez l’ascenseur. Y’a différents prix et ça peut être efficace.
Le sens de l’humour de Michaud vient du fait qu’il pousse à bout les situations, tout en gardant une logique à toute épreuve. Résultat : des effets bœuf, drôles, donnant même dans l’absurde parfois, à l’intérieur desquels il s’amuse à donner sa propre version des faits, à parodier – un peu pour s’exorciser lui-même ? – tout ce que la société, la culture, l’enseignement, bref, la vie en général, lui ont lentement inculqué. Sa fresque historique sur l’évolution des Québécois et la description de leur caractère, national et individuel, constituent un morceau de choix. Son humour est mordant, cinglant, caustique. Ça râpe les boyaux en passant. C’est le désenkylosage complet des neurones, c’est la grande dégelée du printemps, c’est “l’huile de castor” non aromatisée en guise de laxatif.
Michaud ne fait pas de cadeau. Intransigeant avec ses pairs comme avec la société dans laquelle il vit, il démystifie tout, démythifie tout, désacralise, dédramatise et désillusionne : la politique, la religion, les systèmes sociaux et même le sexe qui n’est plus qu’une « vague histoire de sécrétions plus ou moins réflexes », « de désirs vénériens poisseux », « de dépoussiérage de neurones » – là, il a raison –, bref, du léchage de muqueuses – il n’a pas tout à fait tort non plus !
La lecture de Michaud est exigeante en ce sens qu’elle demande une concentration de tous les instants tellement l’écriture est dense, l’information variée et touffue, les théories physiques et les principes métaphysiques condensés. À ce titre, j’ajouterais qu’elle nécessite également une bonne culture générale, question de jouir plus et mieux, parce que les références et jeux de mots abondent. Ainsi, lorsque les voyageurs sont en plein Big Bang et flottent dans une sorte de magma laiteux vachement fœtal et initiatique, l’auteur dit, en s’adressant aux amateurs de symbolisme bon marché, qu’il « convient dans la vie de ne pas se priver de susciter de nombreux Lacan-dira-t-on ». Lacan est cet espèce de psychanalyste français aux théories fumeuses, pour ne pas dire douteuses, que personne ne prend au sérieux.
Et le style ? Et l’écriture ? J’en profite pour vous mettre au parfum d’un autre personnage du bouquin, Walter Hégault, polyspécialiste du XXe siècle, alcoolo qui n’a d’autre justification que d’être là, en ce sens qu’il ne se mêle jamais aux autres personnages, n’intervient que pour donner son opinion ou contredire celle des autres, confirmer, infirmer ou déconner, c’est selon. Il est un peu hors du temps, du Monde, comme tous les spiritueux !
L’association entre Walter Hégault et l’auteur n’est pas de moi. Elle est clairement sous-entendue en quatrième de couverture. Qu’à cela ne tienne ! Je reconnais l’un et l’autre. Michaud est à l’aise avec (et dans) différents langages, maîtrise plusieurs vocabulaires (on dit jargon spécialisé dans le métier), joue de sa langue, française, comme jongleur dans un cirque, dose les effets, par respect, et te décoche un uppercut d’une compression de cellules en te donnant le résultat de sa cogitation sur E = MC2… À liquider avant qu’il ne se solidifie, sinon il sera trop tard. Ce type est dangereux pour la société. Il dérange ! Bref, j’irais jusqu’à dire que je ne lui reconnais aucun vis-à-vis québécois. Il pourrait devenir notre San Antonio national, en plus poli, en plus châtié.
Les Montres sont molles mais les temps sont durs : un livre audacieux, à lire si vous aimez les sensations fortes, juste pour le plaisir d’être “out”, extérieur à toute influence. Car de son regard, l’auteur dissèque à froid la société contemporaine, par un trait vif et incisif de ses yeux rayons lasers, tout en y prenant un plaisir de jeune délinquant qu’on aurait tenté d’endormir ou qu’on aurait maintenu autistique. Juste pour se rappeler qu’on a déjà été hippie… C.Q.F.D. [LSP]
- Source : L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 107-109.
Références
- Gervais, Jean-Philippe, Solaris 81, p. 13 et 15.
- Grégoire, Claude, imagine… 47, p. 73-74.
- Laflamme, Steve, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 569-570.
- Meynard, Yves, Samizdat 16, p. 37.