À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Anne a hérité du don de prémonition que possède sa tante Martine considérée dans la région de Neubourg comme une sorcière. La jeune fille a, en outre, le pouvoir de capter les émotions des gens qui l’entourent, un mélange de télépathie et d’empathie particulièrement aiguë.
En visite à Saint-Imnestre chez sa tante, Anne assiste à une conversation entre celle-ci et Esther Verrier venue consulter la supposée sorcière. La visiteuse raconte que son fiancé, un certain Jérôme Killainey, serait récemment disparu près de la frontière canado-américaine alors qu’il voyageait à bord d’un aérostat. Grâce à ses dons, Anne devine que la visiteuse n’a pas tout dit, mais elle ne doute pas pour autant de son honnêteté. Une question subsiste en elle toutefois : le Canada étant en guerre contre ses voisins du sud, ce Killainey serait-il un espion à la solde des Américains ?
Pourtant, Anne sait maintenant qu’Esther Verrier fréquente Maître Gaugard, un libre penseur qu’elle-même estime beaucoup. Elle décide de venir en aide à la femme et convainc sa tante d’utiliser son pouvoir à cette fin. Martine se rend avec elle sur la colline magique où elle a une vision de Jérôme : de toute évidence, l’homme est grièvement blessé et quelqu’un semble l’avoir recueilli. Mais où se trouve-t-il à présent ?
Philippe, l’ami d’Anne, apprend d’un employé de l’Hôtel-Dieu qu’un étrange blessé vient d’y être admis. Anne et Esther rendent visite à ce nouveau patient et découvrent qu’il s’agit bel et bien de Jérôme. Mais il est en fort mauvais état. Il faut le sortir de l’hôpital afin que les Anglais ne l’interrogent pas.
Esther annonce alors à sa jeune alliée qu’elle-même ainsi que Jérôme et ses compagnons sont des Éryméens, c’est-à-dire les membres d’une société secrète dont le siège, Érym, est situé en Sibérie. Les Éryméens utilisent une technologie d’avant-garde, comme ces « boîtes parlantes » qui leur permettent de converser à distance, ces lampes fonctionnant avec une pile et ces explosifs puissants…
Esther Verrier en tête, tout le groupe parvient à sortir Jérôme de la salle commune où on le soigne. À cause des Anglais mis en état d’alerte partout en ville, il faut ensuite trouver une issue en passant par les catacombes creusées sous Neubourg. La mission réussie, une nef vient cueillir les Éryméens au sommet de la cathédrale où l’équipe s’était réfugiée.
Désormais, Anne vivra en souhaitant qu’Esther revienne la voir et l’invite à se joindre à la mystérieuse organisation dont elle fait partie.
Commentaires
Bien qu’aucune référence au cycle d’Érymède ne soit donnée en bas de page, Daniel Sernine vient de nouer les deux pans de sa production littéraire en écrivant La Nef dans les nuages. Aux éditions Paulines, il avait déjà publié quatre titres appartenant à la série Davard-Michay, cycle fantastique se déroulant dans le passé d’une ville imaginaire appelée Neubourg (lire : Québec). Chez Pierre Tisseyre, deux autres romans – plus volumineux et plus ambitieux – s’inscrivaient dans le même univers. L’autre série, mettant en scène l’organisation éryméenne Argus, est représentée par trois titres, tous parus chez Jeunesse-pop. Mais on sait que la plupart des œuvres de cet auteur, nouvelles ou romans, s’adressant à des jeunes ou à des adultes, font partie de l’un ou l’autre de ces cycles.
L’idée d’associer les deux univers était bonne. Cette jonction constitue l’un des éléments les plus intéressants de ce dixième roman jeunesse publié par Sernine. Lorsque s’enclenche l’opération visant à libérer Jérôme Killainey, deux niveaux de technologie coexistent alors, celle des Nord-Américains du début du XIXe siècle (fiacres, torches, laudanum, etc.) et celle – beaucoup plus proche de la nôtre – des Éryméens (communicateurs, lampes de poche, trousse de serrurier, etc.). Cela crée un bel anachronisme.
Tout le livre semble d’ailleurs frappé volontairement du sceau de l’anachronisme. À commencer par la superbe illustration – la mieux réussie de toute la collection Jeunesse-Pop – signée Jean-Pierre Normand, qui orne la couverture. On y voit, sur fond de nuages gris, un aérostat presque transparent qui se profile juste au-dessus de la basilique de Québec. Même si les montgolfières existaient déjà en 1813, on peut dire que deux époques se côtoient dans ce dessin. Ou deux cultures. Et deux cycles littéraires, évidemment : l’un gothique, l’autre résolument SF.
Si les Éryméens qui agissent dans l’histoire – Esther, Jérôme, ainsi que leurs compagnons – se trouvent nécessairement en avant de leur temps, ils ne sont pourtant pas les seuls. Martine Vignal, déjà apparue dans Les Envoûtements, appartient presque à un âge futur, vu sa marginalité, son désir d’indépendance et son désintérêt pour la vie imposée aux femmes de ce temps. Sa nièce, Anne, la suit dans cette voie, elle qui s’intéresse aux propos non autorisés de Maître Gaugard, qui rêve d’abord de devenir ambassadrice puis de s’intégrer à ces Éryméens venus « du bout du monde ». Philippe et surtout Maître Gaugard sont aussi des personnages tournés vers l’avenir de l’humanité, vers nous donc. Visionnaires, ils cherchent à devancer la pensée de leurs contemporains. Mais les vrais héros du roman demeurent des femmes. Ce sont elles qui prennent les initiatives, qui réfléchissent le mieux et qui sont au centre de l’action. Outre Gaugard, les hommes ne font que suivre.
Cette jonction, donc, qui annonce peut-être une nouvelle étape dans l’œuvre globale de Sernine, est bien réussie.
L’histoire racontée, elle, ne suscite pas le même intérêt. Mais puisque Sernine nous a habitués à des intrigues minimales et peu imaginatives, progressant avec lenteur, sans suspense ni véritable rebondissement, je n’insisterai pas sur cet aspect de son style.
L’écriture est ultra-compétente, comme toujours chez cet écrivain. Une révision plus attentive des épreuves aurait toutefois fait disparaître les étonnantes erreurs typographiques qui ont été laissées – ce qui est surprenant de la part de Jeunesse-Pop.
Le récit est parsemé d’informations sur de nombreux détails de la vie au XIXe siècle, en particulier dans la société québécoise alors soumise à l’occupant britannique. Cela assure une reconstitution historique à la fois crédible et intelligente. Ainsi, il est amusant de se rappeler que la pollution de l’air et l’expansion urbaine ne sont pas des phénomènes récents.
Sernine traite aussi beaucoup de l’intolérance frappant d’ostracisme tous ceux qui n’empruntent pas les sentiers battus. Ici, ce sont les femmes, encore une fois, qui en souffrent le plus. Une femme non conventionnelle – surtout si elle possède des pouvoirs psi ! – n’est rien d’autre qu’une sorcière. De même, Maître Gaugard sera chassé du collège où il enseigne, à cause de ses idées peu orthodoxes.
La Nef dans les nuages contient moins d’épisodes à saveur surnaturelle que les autres romans du cycle. Anne est frappée par quelques visions prémonitoires, c’est à peu près tout. Sernine va jusqu’à écarter la tentation de l’horreur dans sa description de la traversée des catacombes. Cette longue scène, macabre tout au plus, aurait pu susciter davantage de frissons et de sursauts si l’auteur l’avait voulu.
Pour plusieurs raisons, ce roman de Daniel Sernine s’avère l’un des plus intéressants qu’il ait écrit pour la jeunesse. [DC]
- Source : L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 193-195.
Références
- Anonyme, Contact, vol. 10, n˚ 2, p. 26.
- Anonyme, Vidéo-Presse, vol. 20, n˚ 2, p. 52.
- Demers, Dominique, Le Devoir, 23-06-1990, p. D-4.
- Gauthier, Christiane, Des livres et des jeunes 35, p. 42.
- Guay, Gisèle, Lurelu, vol. 13, n˚ 1, p. 14.
- Le Brun, Claire, imagine… 51, p. 118-119.
- Lewis, Philippe, Solaris 90, p. 43-44.
- Pelletier, Claude J., Samizdat 18, p. 7.
- Provost, Michelle, Vie pédagogique 66, p. 29.
- Sarfati, Sonia, La Presse, 07-04-1990, p. K 3.