À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Nelle vit à l’Institution dans l’attente d’être adoptée par sa « bourgeoise » Léane. Depuis qu’elle a aperçu le mystérieux Voyageur et qu’elle a vu mourir un éfan sur un chantier, les questions tournent sans répit dans sa tête. Mais personne ne veut satisfaire sa curiosité. Elle se rebelle et le maître Abélar finit par la jeter à la rue, sans aucun papier d’identité. Le soir venu, Nelle se refuse, par orgueil, à revenir à l’Institution. Mais comment pourra-t-elle survivre au milieu du ghetto ? Dès la première nuit, Nelle est attaquée. Un riche commerçant du nom de Beneter la sauve. Elle devient sa maîtresse.
Beneter négocie avec le Voyageur lorsque ce dernier fait escale à Vilvèq. Lors d’une réception d’affaires, Nelle rencontre l’étranger que tous admirent et craignent. Le Voyageur la voit danser, leurs regards se croisent. Elle est fascinée par le personnage, par sa peau si blanche, par le mystère qui l’entoure. Certains affirment qu’il peut se faufiler entre les univers. Mais qu’existe-t-il vraiment en dehors de Vilvèq, au-delà du désert et du fleuve ? D’où proviennent les marchandises laissées par le bateau du Voyageur ? Que prend-il en échange ? Nelle veut savoir. Elle cherche à revoir le Voyageur, mais il lui faudra attendre la saison des pluies. Malheureuse, elle quitte Beneter et trouve refuge auprès d’un vieil éfan. Une belle et étrange amitié se développe entre ces deux êtres marginalisés. Ils partagent un même grand rêve de liberté.
Nelle perd son ami l’éfan qui meurt d’étrange façon. Le même jour, Abélar retrouve la jeune délinquante et lui apprend la mort de Léane en même temps que l’identité véritable de sa bourgeoise : Léane était mairesse de Vilvèq. Elle a légué un « nom » à Nelle en guise d’héritage. Elle n’aura donc plus à se cacher. Nelle se rend compte que Léane avait des projets bien singuliers à son égard, qu’elle savait même où la rejoindre. Malgré l’amour qu’elle ressent pour Abélar, la jeune femme contacte le Voyageur dès son retour. Elle s’obstine à partir. L’étranger finit par céder à sa requête. L’aventure ne fait que commencer…
Commentaires
Dans ce premier volet d’une série (Le Sable et l’Acier) qui s’annonce des plus prometteuses, Francine Pelletier met en scène une jeune fille avide de vérité et de liberté. La narratrice raconte, dans un cahier qu’elle envoie à une ancienne amie de Vilvèq, l’itinéraire qui fut le sien depuis son enfance et qui l’a amenée si loin de sa ville natale. Dès son plus jeune âge, Nelle se montre curieuse et téméraire. La vie et les règles de l’Institution ne semblent guère lui convenir. Nelle tient tête à ses maîtres ; elle refuse toute concession qui contraint au silence. Jamais les questions ne s’arrêtent dans sa tête. Nelle a besoin de briser les murs et de voir ce qui se cache de l’autre côté, ailleurs, plus loin. Elle est prête à confronter ses propres peurs pour assouvir sa soif de connaissance.
Toute petite, Léane la conduit de temps à autre hors de l’Institution. Elle la guide à travers les rues et les quartiers de Vilvèq. Nelle observe avec intérêt, découvre les réalités de son univers aux limites bien circonscrites. Vilvèq est un monde fermé sur lui-même, prisonnier du désert et d’une fange acide qui le tient éloigné du fleuve. Il est marqué par la stérilité (le titre l’évoque bien). Les enfants sont « fabriqués » à la Genète, puis placés à l’Institution dans l’attente de leur adoption par un bourgeois qui en fera son apprenti. L’adoption confère un nom et un statut de légalité à l’enfant, choses précieuses à Vilvèq où la violence et la répression sont cruelles.
Les rapports sociaux évoluent à l’intérieur d’une structure hiérarchique bien établie. D’ailleurs, l’organisation de l’espace à Vilvèq tient compte du clivage entre les classes sociales. La ville est construite par paliers (ce pourrait être Québec dans un lointain avenir). Les marginaux de toutes sortes vivent, ou plutôt tentent de survivre, dans les ghettos de la basse-ville. L’accès à la haute-ville leur est interdit. La surveillance est continue. Les bourgeois circulent à leur aise d’un palier à l’autre et prennent demeure là où le devoir les appelle. Enfin, la Genète surplombe la ville, s’imposant au regard de tous. Quant aux éfans (espèce humanoïde intelligente mais non considérée comme telle), ils sont servilement exploités. Des implants au cerveau les contraignent à une docilité quasi parfaite. Ces êtres, physiquement impressionnants (et fascinants), souffrent de cet état de domestication dont ils restent conscients. Nelle n’oubliera jamais l’éfan qui s’est donné la mort sur un chantier, cherchant à arracher l’implant qui le rendait esclave.
C’est lors d’une promenade avec Léane que Nelle voit pour la première fois l’énigmatique Voyageur. Tous se rangent au passage de l’homme voilé, maître du seul bateau qui accède à Vilvèq. L’étranger attire le respect et la crainte. C’est donc un homme de grand pouvoir. Nelle comprend vite que la vie à Vilvèq dépend de ce Voyageur. À chaque saison de pluie, il apporte son lot de marchandises et de victuailles. Sa provenance reste mystérieuse, comme la nature des liens qui l’attachent à Vilvèq. Pour Nelle, il représente l’ailleurs et la liberté. En attendant le retour du bateau, la jeune femme continue son apprentissage dans les murs de Vilvèq. Elle s’endurcit, arrive de mieux en mieux à se défendre et à user de stratégies. Mais elle découvre aussi le respect, l’amitié et la tendresse auprès de l’éfan protecteur. Est-ce là ce qu’avait désiré Léane ?
Nelle de Vilvèq est une œuvre intéressante et riche sur le plan de l’imaginaire. C’est une œuvre de maturité qui marque un tournant majeur dans la démarche (l’exploration) de Francine Pelletier. L’aventure en compagnie de Nelle est fort bien engagée, reste maintenant à voir comment l’auteure mènera son personnage dans sa longue quête de vérité… [RP]
- Source : L'ASFFQ 1997, Alire, p. 141-143.
Références
- Bérard, Sylvie, Lettres québécoises 89, p. 33-34.
- Champetier, Joël, Solaris 123, p. 34-35.
- Germain, Robert, Allô-Vedettes, 04/11-10-1997, p. 4.
- Martin, Christian, Temps Tôt 46, p. 37.
- Mercier, Claude, Proxima 4, p. 71.
- Paquette, Marie-Josée, Kraken, vol. 2, n˚ 4, p. 7.