À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Jessie et Hendrix s’évadent d’un centre de détention pour jeunes délinquants, le premier ayant été condamné pour divers vols, le second pour le meurtre d’un policier. Ils trouvent refuge dans la grande ville de Beyr dont la surpopulation leur garantit l’anonymat souhaité. Sans argent et sans toit où dormir, ils se résignent à s’installer provisoirement dans un petit réduit humide et froid accessible par les égouts souterrains de la ville. Mais il leur faut manger et, surtout, se procurer du Mardouk, une drogue dont ils doivent consommer une dose quotidienne. Ils repèrent un jeune pusher qui consent à leur céder quelques ampoules de Mardouk en échange d’un couteau tout en les prévenant que la prochaine fois, ils devront payer en argent.
Jessie met à profit son expérience en électronique pour détrousser un guichet automatique. Il vole aussi quelques pièces électroniques car il a fait une promesse à Hendrix : lui fabriquer des prothèses qui remplaceront ses bras et ses mains afin qu’il puisse jouer à nouveau de la guitare. Pour se venger du meurtre d’un collègue, les Juvénos, corps policier chargé spécialement de la surveillance des jeunes, lui ont en effet amputé les deux bras.
Quand Jessie veut acheter une grande quantité de Mardouk, le jeune pusher le met en présence de Rhésus, le chef des Strickfaden qui contrôlent le trafic de la drogue à Beyr. Rhésus lance un ultimatum à Jessie : ou bien il se joint au gang, ou bien il quitte la ville. Jessie veut garder sa liberté et défie l’ultimatum de Rhésus. Sa vie est en danger d’autant plus qu’il a découvert que les Strickfaden sont protégés par le député de la ville, le maréchal Merritt.
Poursuivi par les Juvénos et les Strickfaden, Jessie se réfugie chez une petite magicienne qu’il a connue quelques jours auparavant. Ariane lui vient en aide et lui parle d’un pays merveilleux, Mirlande. Elle croit avoir trouvé le passage qui y donne accès : un vieux coffre magique dans lequel disparaît tout ce qu’on y met. Ariane et Jessie sont prêts à tenter l’aventure, Hendrix ayant été tué par la bande de Rhésus, pour quitter le monde laid et injuste dans lequel ils vivent.
Commentaires
Nocturnes pour Jessie est le sixième roman pour adolescents de Denis Côté depuis 1983, ce qui démontre chez cet auteur une régularité assez remarquable. Ce dernier roman est à la fois caractéristique de sa production antérieure et différent sous d’autres aspects. On reconnaît d’abord son écriture par le souci qu’il a de mener rondement le récit, de lui donner un rythme rapide et efficace. De même, la description de Beyr n’est pas sans rappeler Lost Ark dans Hockeyeurs cybernétiques : même surpopulation, même chômage endémique chez les jeunes, mêmes inégalités sociales, mêmes problèmes de criminalité. En outre, on sent chez l’auteur un sentiment de révolte face à l’injustice et à la misère qui insuffle à son roman une énergie irrésistible.
Par ailleurs, Denis Côté délaisse dans Nocturnes pour Jessie les explications scientifiques ou parapsychologiques au profit de l’irruption du merveilleux. Le roman commence comme un récit de SF situé dans un futur immédiat, puis il bifurque, avec l’importance de plus en plus grande que prend Ariane, vers le merveilleux. Mirlande est un pays imaginaire, le pays de la beauté, peuplé en majorité d’enfants et dont tous les habitants sourient. La disparition d’Ariane et de Jessie à la fin laisse ouvertes les portes de l’imaginaire. Tout en reprenant des thèmes qu’il avait déjà abordés (valorisation de l’individualisme, dénonciation de la corruption politique), l’auteur introduit des préoccupations nouvelles.
Tout d’abord, il traite du problème de la drogue chez les jeunes, problème qu’il dépeint avec franchise et sans romantisme. Quand Jessie et Hendrix sont en manque, ils sont tout à fait pitoyables et démunis. Ils rappellent la descente aux enfers de Christiane F., cette adolescente de 13 ans qui a décrit son histoire véridique dans un livre qui fut adapté par la suite au cinéma. Denis Côté s’en tire bien avec ce sujet difficile qu’il n’était pas sans redouter. Sans faire la morale aux jeunes, il suggère avec intelligence et subtilité que la drogue n’est pas le seul moyen d’évasion de la réalité. Il existe d’autres façons d’y arriver, comme la lecture ou la musique, ainsi que le suggère le personnage d’Ariane qui recherche dans les romans de Charles Dickens et les Nocturnes de Chopin des voies pour accéder à la beauté. Ces choix artistiques marquent aussi une volonté chez l’auteur de concilier l’héritage du passé et la culture actuelle représentée par le rock, seule forme de musique que connaissent les deux jeunes garçons.
Ce qui frappe le plus, toutefois, dans Nocturnes pour Jessie, c’est l’amitié indéfectible qui unit Jessie et Hendrix, puis la relation amoureuse naissante entre Jessie et Ariane. Jusqu’ici, l’auteur n’avait pas attaché beaucoup d’importance à l’amitié ou à l’amour, du moins pas au point d’en faire le sujet central du récit. C’est la première fois que ses personnages sont aussi étroitement liés les uns aux autres et qu’il met de côté sa pudeur naturelle. Dans un premier temps, il montre l’attachement de Jessie pour Hendrix qu’il protège comme un grand frère. Mais en même temps qu’il se sent de plus en plus attiré par Ariane, Jessie s’éloigne inconsciemment d’Hendrix. L’auteur traduit ainsi de façon symbolique le passage d’une étape de la vie à une autre, l’amitié entre copains faisant place à l’amour pour une jeune fille. La mort d’Hendrix apparaît donc inévitable, à la fois cause et effet de la transformation du sentiment qu’éprouve et veut transmettre Jessie.
Parallèlement, l’écriture de Denis Côté se transforme pour devenir plus lyrique, sans verser cependant dans la sentimentalité. Cette métamorphose unique dans son œuvre révèle un auteur qui s’était montré surtout sensible à l’inconscient collectif et aux représentations mentales et sociales du monde dans lequel vivent ses personnages. Nocturnes pour Jessie est, à cet égard, un roman important dans la production de Denis Côté puisqu’il marque un renouvellement.
Il est dommage toutefois que l’écriture laisse voir quelques maladresses. La faute est imputable, à mon avis, à un manque de direction littéraire éclairée chez Québec/Amérique bien plus qu’à l’auteur lui-même. Le manque de recul de celui-ci lui fait commettre une bourde qu’un bon lecteur de manuscrits aurait vite fait de dépister. Ainsi, à la page 129, Jessie trouve son ami inconscient à la suite d’une crise provoquée par le manque de Mardouk. « Des croûtes de sang séché marquaient le visage d’Hendrix et le bout de ses ongles étaient rouge. » Or, Hendrix n’a pas de bras… Ailleurs, à la page 136, Jessie craint que lui et son ami « soient livrés pieds et poings liés aux Juvénos… », une expression pour le moins inappropriée dans les circonstances. Ces quelques fautes d’inattention gâchent un peu le plaisir de lecture d’un récit par ailleurs courageux dans la description d’une jeunesse sacrifiée, sans espoir d’un avenir meilleur. Sans espoir ? En opposant la beauté intérieure de certains êtres à la laideur de l’environnement ambiant, Nocturnes pour Jessie nous dit qu’il existe peut-être encore une voie de salut. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 68-70.
Références
- Lortie, Alain, Solaris 72, p. 41.
- Sauvé, Élaine, Lurelu, vol. 10, n˚ 3, p. 14.
- Spehner, Laurine, Lurelu, vol. 21, n˚ 2, p. 22.
- Voisard, Anne-Marie, Le Soleil, 27-06-1987, P. D-6.