À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Norbert, un soir de noce où il avait bu plus que de raison, a juré que, par sa seule volonté, il saurait bouger une montagne. Évidemment, personne ne l’a cru, mais Norbert n’a cessé de fanfaronner : et s’il faisait tomber le mur devant lui ? Et s’il repoussait la maison au bord de la falaise pour la laisser en équilibre sur le rebord, oscillante, comme un pendule ? Le croiraient-ils ? Norbert parlait tant et si bien qu’autour de lui, on s’est mis à craindre qu’il ne dise vrai. Coulonge, qui était un peu sorcier, eut une idée pour se payer sa tête. « Sais-tu quelque chose de la source rouge et de la Grande Extase, dans le bois des Bécasses ? As-tu le mot ? », demanda-t-il, et Norbert, orgueilleux, d’acquiescer en promettant que le lendemain, à cinq heures, il déplacerait la montagne près du village. Le jour suivant, tous les villageois lui demandèrent des comptes : « alors, cette montagne, tu la bouges ? » Norbert, de moins en moins sûr de lui, promit une nouvelle fois, de peur de perdre la face. Contre toute attente, à cinq heures précises, il réussit effectivement son exploit… et provoqua une catastrophe qui engloutit trois villages.
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Le Vendeur d’étoiles n’est pas le recueil le plus connu d’Yves Thériault : quand on pense à ses contes, c’est généralement à Contes pour un homme seul auquel on fait référence, dont les thèmes aussi bien que le style diffèrent passablement de ceux du Vendeur d’étoiles. Ce recueil réunit douze récits écrits entre 1946 et 1957, dont seulement trois font appel au fantastique. Le texte que nous recensons, bien qu’il se distingue des autres nouvelles du livre par sa thématique reliée au surnaturel, s’avère tout de même très caractéristique du recueil, qui développe les thèmes de la rêverie et du désir comme moteur de l’existence. Les textes sont, en bref, une douzaine de variations sur un même personnage : le rêveur. Le rêve mène à la désillusion, mais se réalise aussi parfois ou encore se retourne contre le rêveur qui refuse d’admettre le réel, comme dans « Norbert qui bouge les montagnes ».
Norbert, en butte à l’incompréhension, l’incrédulité voire l’hostilité de ses semblables, s’inscrit dans un rapport conflictuel avec la société dans laquelle il vit, ce qui met la figure du rêveur sur le même pied que celle du survenant, dans le conte traditionnel : il dérange l’ordre établi en défiant la logique usuelle ou en attirant le malheur et la désolation tant sur lui-même que sur les siens (Norbert, à force de prendre ses désirs pour des réalités, provoque la mort de centaines de gens et, conséquemment, est banni de son village).
« Norbert qui bouge les montagnes » reste, de ce fait, fidèle à la rhétorique du conte traditionnel, qui a une fonction éducative dans la mesure où il établit des normes de comportement et transmet des valeurs qui aident l’individu à vivre en société. Ici, c’est la crédulité et l’orgueil qui sont fustigés ; le personnage de Coulonge agit comme un redresseur de torts malgré sa rouerie manifeste : en exploitant la faiblesse de ses semblables (c’est-à-dire l’orgueil de Norbert et la crédulité des villageois), il les punit par où ils pèchent.
L’écriture de Thériault vient appuyer la fiction en jouant sur les différentes acceptions du mot foi (la foi en Dieu, celle qui, justement, bouge les montagnes mais aussi la foi en soi, qui, chez Norbert, prend des proportions exagérées) ou en parsemant le texte d’expressions significatives : le lendemain de la fête, Norbert se réveille avec « la grosse tête », qui dans son cas est autre chose qu’une simple « grosse tête de vin » (p. 99) ; l’expression « Grande extase » sonne, dans la bouche de Coulonge, comme une raillerie et comme un avertissement tout à la fois (l’extase que provoque le vin est semblable à celle qui perdra Norbert : l’ivresse de grandeur).
Il s’agit, en bref, d’un texte qui se situe à mi-chemin entre le conte traditionnel (à cause de sa morale) et le conte contemporain (davantage axé sur l’anecdote fantastique et à la facture plus ludique), qui saura éveiller l’intérêt des amateurs du genre pour peu qu’ils sachent lire le texte en prenant compte des effets de sens que lui confère sa place dans le recueil. [ID]
- Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 191-193.