À propos de cette édition

Éditeur
Le Préambule
Titre et numéro de la collection
Chroniques du futur - 10
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
236
Lieu
Longueuil
Année de parution
1986
Support
Papier
Illustration

Résumé/Sommaire

Le Nouveau-Québec ne sera plus dans trente-cinq ans qu’une immense mer intérieure. Quand l’État aura mené à terme les travaux de construction du barrage Bourassa, le territoire du Mushuau sera entièrement noyé. Mais comme le sous-sol renferme des richesses minières importantes, la Société Québécoise d’Exploitation de la Mer Verte (SQEMV) se dépêche d’extraire ces matières premières du Grand Nord pour les acheminer au Sud où elles seront traitées.

Pour arriver à ses fins, elle a mis au point un nouveau modèle de camion, le Multi Motor 23, capable de transporter cinq montagnes de minerai à la fois. Ce camionosaure doit être le fer de lance de l’épopée électrique du Nouveau-Québec et son succès doit préparer l’avènement du premier camion spatial, le Multi Max 24, qui se lancera à la conquête de Mars. Aussi, le voyage inaugural du Multi Motor 23 est-il considéré comme un événement historique par tous les médias du Québec.

Mais plusieurs groupes ont intérêt à ce que tout ne se déroule pas comme prévu et à saboter cette première mission du super-camion. Il y a d’abord les Antitout, groupe terroriste plus ou moins organisé dont l’idéologie est de frapper à l’aveuglette, « pour le simple plaisir d'accomplir un acte gratuit ». Il y a aussi les Inuits et les Naskapis qui sont menacés par le progrès et dont la terre sacrée est violée par les Blancs. L’esprit de Carcajou, cet animal dévastateur, tutélaire de l’âme des Naskapis, parviendra-t-il à stopper Multi Motor 23 ? Il y a également les militaires qui souhaitent l’échec du super-camion conduit par des civils afin de prendre la direction des opérations du prochain camion spatial.

Toutes ces forces viendront à bout du Multi Motor, à mi-chemin de son périple, alors qu’il arrive à Halte-au-Hameau, seul centre urbain sur l’autoroute du Grand Nord, entre Bawadgigan et Golden Town. Le camion emboutit les réservoirs d’essence aux portes de cette ville de thermoglace et c’est la catastrophe.

Jean, un employé de la TVN qui a été témoin de la mort par électrocution du capitaine Lucien Ménord au moment du départ, tente de reconstituer les événements. Aidé par une infirmière dont le mari se trouvait à bord du fameux camion, il a accès aux cassettes enregistrées par celui-ci qui agissait comme agent de liaison dans le Multi Motor et qui a vécu directement le drame. Mais qui a bien pu provoquer la catastrophe puisque le camion était conduit par ordinateur ? Les camionneurs ivres de vodkola et drogués au voyagel ? Serge, le fils du capitaine Ménord, à qui on a confié le commandement symbolique du camion ? Et quel rôle a pu jouer la Reine des Glaces, cette vision holographique projetée sur un fond de flammes devant le Multi Motor ?

Jean réussira finalement à mettre ensemble les morceaux du puzzle mais son reportage qu’il se proposait de vendre à prix fort à un réseau de TV lui sera dérobé. Comme à peu près tout le monde dans cette histoire, Jean se rend compte qu’il a été manipulé alors qu’il croyait tenir en main son destin.

Commentaires

Il y a déjà plusieurs années que Jean-Pierre April travaillait à son premier roman, Le Nord électrique. On avait eu droit à un extrait en 1981 dans imagine… 10 et je sais qu’il a soumis son manuscrit au prix Robert-Cliche il y a quelques années (en 1984, je crois). À la suite de cela, il l’a grandement travaillé.

Tel qu’il se présente aujourd’hui, Le Nord électrique est divisé en 45 courtes séquences qui racontent sur le mode burlesque l’épopée industrielle de la conquête du Grand Nord québécois. April a donc choisi la forme éclatée pour raconter cette histoire qui prend l’allure d’une enquête, menée ici par un réalisateur raté qui veut se faire un nom, puisque dès les premières séquences, on connaît le sort tragique du Multi Motor.

Le choix d’April ne surprend pas et prouve hors de tout doute ce que l’on savait déjà : April est un écrivain qui écrit par flashs mais qui a énormément de difficultés à organiser sa matière romanesque, à structurer un discours narratif limpide. Cette lacune est d’autant plus évidente dans une œuvre au long cours. Dans une nouvelle, son style éclaté et baroque peut faire illusion mais dans un roman, ce style est générateur de confusion, de piétinement narratif et d’ennui. April n’a jamais été un conteur et cette évidence n’a jamais été aussi clairement soulignée. On n’a qu’à comparer son travail à celui d’Esther Rochon dans Coquillage pour s’en convaincre. Les retours en arrière sont très fréquents dans le roman de Rochon mais ces transitions se font sans heurts. Le style est fluide et naturel tandis qu’il apparaît artificiel et fabriqué dans le roman d’April.

Longtemps, on a cru que le sujet des fictions d’April dictait cette forme brute, inachevée, voire brouillonne. Peut-être était-ce vrai au départ mais je crois qu’il a fini par se glisser un peu de complaisance dans ce choix. C’est facile de faire preuve d’un manque de rigueur quand votre personnage principal ne sait plus distinguer la réalité de ses divagations parce qu’il est sur le point de capoter ou complètement gelé. Et c’est encore le cas de Jean ici qui perd doublement son identité, d’abord en endossant celle de Jérémie Norman, puis en prenant du voyagel.

Parce que Jean est un produit de la TV, April donne à son roman la forme d’un reportage télévisé. Ce récit lui-même est souvent interrompu par trois ou quatre pages d’information sur un sujet particulier : les Antitout, le voyagel, l’importance de Carcajou. Pourtant, cela n’excuse pas l’absence de synthèse qui constitue la faiblesse majeure de ce roman. Comme on le voit, April ne s’est pas dégagé de l’influence pernicieuse des médias électroniques dont il se sert comme d’un alibi pour nous livrer souvent des textes inaccomplis. Je ne connais en littérature québécoise que Victor-Lévy Beaulieu qui soit capable de laisser ses personnages dériver au gré de leurs fantasmes sans mettre en péril l’organisation du discours romanesque. C’est un art extrêmement difficile que VLB n’a pas maîtrisé dès le début.

On peut s’interroger aussi sur la pertinence d’introduire une distanciation dans les événements relatés. Ceux-ci sont en effet médiatisés la plupart du temps par la télévision ou par la caméra miniature de Jérémie Norman qui enregistre tout ce qui se passe à bord du Multi Motor. Une description directe aurait été plus efficace pour instaurer la dimension épique de l’événement dans le roman.

Toutefois, le but d’April n’est pas de servir l’épopée électrique qui doit redonner aux Québécois leur fierté nationale mais de questionner les enjeux socio-politiques, culturels et écologiques de cette entreprise gigantesque. La distanciation lui permet d’exercer son œil critique plus facilement, de faire ressortir les paradoxes de l’affirmation nationale et de démonter la mythification qui s’empare de ce projet du millénaire. April enfourche ici un de ses thèmes préférés : la satire sociale. Mais en quoi le projet utopique dont il fait la caricature est-il d’actualité quand des villes comme Schefferville ferment ? Le propos du Nord électrique tombe à plat puisque la société québécoise ne trippe plus aujourd’hui sur les grands projets collectifs et que la fierté nationale trouve à s’affirmer différemment. Il me semble que ce roman aurait eu beaucoup plus d’impact s’il était paru au cours de la décennie précédente. April, qui se veut en prise directe sur le présent, se trouve en retard d’une génération avec ce roman !

Malgré cet hiatus et la forme inachevée du roman, Le Nord électrique n’est pas complètement raté. Il faut d’abord souligner l’effort de l’auteur pour inscrire sa fiction dans le contexte de la société québécoise et il s’agit là sans doute de la première tentative authentique de ce genre en SFQ. Il est tout simplement dommage qu’entre le moment où April s’est mis à la rédaction de ce roman et celui de sa parution, les préoccupations des Québécois aient changé radicalement.

Ce roman est également porteur d’idées fort intéressantes sur la culture amérindienne, sur la nordicité, sur le pouvoir des images et sur la fabrication des mythes. D’ailleurs, dans ce roman, les idées sont plus fortes que les personnages auxquels on ne croit pas, parce qu’ils sont inconsistants et peut-être aussi parce qu’ils sont bouffés par le mécanisme qu’ils croient être en mesure de démonter pour ensuite en tirer profit. Ils apparaissent ainsi comme des rouages finalement essentiels à la grande machination et perdent en quelque sorte leur statut de personnages. Jérémie Norman s’en sort indemne parce qu’il retourne aux sources primitives de la nature tandis que Jean, qui croit tirer son épingle du jeu, se retrouve devant rien. Ce personnage pitoyable vient d’essuyer un autre échec professionnel et sa vie familiale est grandement compromise. À cet égard, April n’innove pas, ses personnages étant victimes des événements alors qu’ils croient être capables de les utiliser à leur profit.

Enfin, l’intégration d’éléments de la culture amérindienne dans le récit ajoute une dimension sociologique et culturelle intéressante. S’appuyant entre autres sur les travaux de l’ethnologue Rémi Savard, April évoque les rites ancestraux de la Tente Tremblante et des atno’gen (mythes) qui occupent une place centrale dans la culture amérindienne. L’incongruité qui se dégage de la fusion de ces pratiques faisant appel au sacré avec une histoire purement fictive et souvent invraisemblable fait cependant ressortir un problème de rapport entre le réel et l’imaginaire. Ici, ce qui est fondé sur des études ethnographiques doit donner de la crédibilité à l’histoire mais le rapport de forces n’est pas équilibré, de sorte que la fiction risque de contaminer le caractère authentique de la culture amérindienne et de la transformer en pratiques exotiques dénuées de fondement et constituées d’affabulations.

Le Nord électrique était rempli de promesses comme le Multi Motor 23 et, comme lui aussi, il capote avec Jean-Pierre April aux commandes. L’échec de cette utopie technologique est peut-être un mal pour un bien, semble nous dire l’écrivain. Souhaitons qu’il en soit de même pour la suite de son œuvre. C’est ce que nous laisse espérer en tout cas sa récente nouvelle, « Impressions de Thaï Deng ».

Quant à l’éditeur, rappelons-lui qu’un bon correcteur d’épreuves s’impose plus que jamais. Outre les nombreuses fautes typographiques et orthographiques, les livres des éditions Le Préambule contiennent toujours au moins une coquille hénaurme. Lisez cette phrase sans rire pour voir : « Ses sourcils noirs réunis en deux nattes luisantes dégageaient son cou ambré » (p. 186). [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1986, Le Passeur, p. 20-24.

Références

  • Gauthier, Philippe, Samizdat 3-4, p. 33-34.
  • Le Brun, Claire, imagine… 37, p. 126-127.
  • Lord, Michel, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VII, p. 646-647.
  • Moumon, Jean-Pierre, Antarès 22, p. 124-125.
  • Murray, Paul-C., Solaris 69, p. 15.
  • Richardson, Normand, Le jour et la nuit, vol. 3, n˚ 1, p. 6.
  • Ruel, Hélène, L'Union, 03-06-1986, p. 12.
  • Thomas, Pascal, Ailleurs et Autres, fin 1986, p. 19.
  • Thomas, Pascal, Locus 311, p. 17.
  • Tremblay, Gérald, La Voix gaspésienne, 13-08-1986, p. B 8.