À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Bien que Tobie soit entouré d’autres personnages : Marc Alix, responsable de De retour d’Afrique après y avoir servi quelques années comme coopérants, Madeleine et Francis s’installent temporairement à Ottawa dans la maison inoccupée d’un couple ami. Au cours de leur première nuit en sol canadien, ils subissent une étrange métamorphose physique : ils sont transformés en chiens-loups et, qui plus est, ils ont changé de sexe. Nicole, une amie du couple absent qui s’occupe de l’entretien de la maison, est assaillie par les deux fauves qui se livrent sur elle à une expérience érotique qui la laisse troublée. Elle est partagée entre le dégoût que lui inspire le traitement subi et la fascination qu’elle éprouve pour ces deux superbes bêtes aux yeux humains.
Sous leur apparence animale, Madeleine et Francis ont en effet conservé leur intelligence humaine et le souvenir de leur état antérieur. Par contre, ils ressentent au plus profond d’eux-mêmes les instincts primitifs des bêtes qu’ils sont devenues, ce qui les amène à se mettre en quête de proies la nuit venue. Francis, qui a subi une nouvelle métamorphose, hante les rues d’Ottawa sous les apprences d’une jeune adolescente accompagnée de son chien-loup. Ils recherchent le sang frais et les occasions de satisfaire leurs pulsions sexuelles. Deux jours plus tard, les hôpitaux de la ville comptent une quinzaine de patients qui ont été admis dans un état comateux et qui présentent de petites cicatrices sur leur corps. Nicole qui, entre-temps, a décidé de faire confiance à l’étrange couple, s’alarme de leurs agissements nocturnes et décide de contacter un médecin qui a reçu quelques victimes à l’hôpital où il travaille.
Pendant ce temps, Madeleine et Francis sont surpris par l’aube avant de regagner leur domicile. Ils trouvent refuge dans la maison d’un peintre, Don Higgerty, où ils reprennent leur forme d’adolescents. L’artiste ne paraît pas surpris outre mesure de leur présence. Détiendrait-il l’explication de l’extraordinaire aventure qu’ils vivent ? Il les reconduit à leur maison où survient le médecin accompagné de policiers. Nicole et Higgerty réussissent à étouffer les soupçons des enquêteurs et à les confondre. Puis, une visite à la galerie où expose le peintre permet au jeune couple de comprendre ce qui lui est arrivé.
Commentaires
La Nuit du chien-loup est le dix-huitième livre de Jean-François Somain au cours des dix dernières années. Comme en témoigne sa production et la prolixité de ce roman, l’auteur n’a pas de problème d’inspiration devant la page blanche. Il propose ici une version allongée d’une nouvelle parue initialement en 1986 dans Antarès sous le titre « Bonne chasse ». Après un début qui laisse croire que l’expérience de Madeleine et de Francis au Cameroun comme coopérants sera déterminante pour la suite de l’histoire en fournissant des éléments de solution liés à la pratique de la sorcellerie africaine, le roman emprunte une toute autre piste qui mènera le lecteur dans les arcanes de l’imaginaire capable de modifier la réalité.
La clé du roman se trouve à la page 241 alors que le peintre Higgerty se remémore une histoire de Borges : « Un homme rêve un personnage, qui prend vie ; et l’homme se demande alors, angoissé, s’il n’est pas lui-même le rêve de quelqu’un d’autre. » Quelques lignes plus loin, il affirme : « Les rêves se mettent à vivre, comme tout le reste. La réalité est tellement malléable. » En fait, cette conclusion, on l’avait déjà pressentie dès les premières pages : « Tout commence quand on se réveille. » «La réalité permet uniquement de dire : Je pense, donc quelque chose existe, peut-être quelqu’un qui me rêve. » Le roman en fera la démonstration en refusant toute explication scientifique pour privilégier plutôt la puissance de l’imaginaire.
Jusque-là, rien à dire, sauf qu’on ne peut s’empêcher de penser que l’auteur en a mis du temps avant de conclure sa démonstration. Le début du roman est très lent et même après la première métamorphose de Madeleine et Francis, le rythme ne s’accélère guère. Les scènes apparaissent redondantes et d’une longueur interminable. Quant à la visite du sergent Landry à la fin, elle est d’une affligeante ineptie. Le dialogue qu’il entreprend avec Nicole manque totalement de vraisemblance. Cela ne tient pas debout. À vrai dire, La Nuit du chien-loup – et c’est là son principal défaut – est une longue nouvelle diluée en roman. Il n’y a d’ailleurs aucune intrigue secondaire dans ce récit qui contient juste assez d’idées pour faire… une nouvelle.
Le point de départ du livre de Somain rappelle Cat People mais plutôt que de faire de ses deux personnages principaux des descendants improbables d’un peuple mythique, il préfère emprunter son imagerie à la mythologie grecque pour justifier le comportement de Madeleine et Francis. L’image de Diane la chasseresse flanquée de son lévrier s’impose d’emblée et renvoie à Francis transformé en adolescente hantant les nuits d’Ottawa avec Madeleine à ses côtés métamorphosée en chien-loup. À sa façon, La Nuit du chien-loup se veut une version moderne des mythes grecs qui ne manquent pas d’exemples d’accouplement entre les dieux (qui prennent la forme d’animaux : cygne, taureau, etc.) et les humains.
Somain a déjà exploré diverses facettes de la sexualité dans ses romans antérieurs. Dans La Planète amoureuse, une exploratrice vivait une expérience érotique totale avec une planète présentant les caractéristiques d’un organisme vivant. Dans Le Diable du Mahani, il proposait une érotopie assaisonnée de sagesse orientale, tandis que dans Les Visiteurs du pôle Nord, il confrontait les mœurs sexuelles des humains à celles de six extraterrestres. On comprendra facilement que son dernier roman constitue un prétexte rêvé pour explorer diverses expressions ou déviations de la sexualité humaine : homosexualité, certes, mais surtout bestialité, transsexualité et baise à trois.
En raison du caractère ambigu de Madeleine et de Francis qui, tout en se métamorphosant en chiens-loups ou en panthères, ont conservé leurs facultés intellectuelles humaines, il se dégage de ces diverses expériences sexuelles un climat trouble et sulfureux qui ne manque pas d’intérêt. L’ambiguïté constante dans laquelle baignent les rapports entre les deux protagonistes et leurs victimes représente d’ailleurs l’élément le mieux réussi du livre. On sent par contre l’hésitation continuelle de l’auteur qui ne sait pas quel nom utiliser, Francis ou Francine, Madeleine ou Alain. Pourquoi Somain revient-il, dans les dernières lignes, avec les deux noms qui font référence à un état passé alors que Madeleine et Francis ont dit adieu à leur ancienne personnalité ?
La Nuit du chien-loup constitue également un éloge de la liberté, de la vie sauvage et des instincts qu’il ne faut pas refouler sous prétexte qu’ils sont primitifs. Somain célèbre la farouche indépendance de ses deux personnages principaux car il croit que le côté civilisé de l’humain dissimule une « barbarie fondamentale » intimement liée à l’instinct de vie.
Dans un autre ordre d’idées, la métamorphose du couple et le goût du changement qu’il manifeste préfigurent – La Nuit du chien-loup a été écrit en 1987 – et expliquent le changement d’identité de l’auteur qui a abandonné son vrai nom en 1989 pour celui de Somain. A-t-il ressenti comme écrivain le besoin de changer de peau, de connaître un nouveau départ comme a réussi à le faire Romain Gary sous le pseudonyme d’Émile Ajar ? Pour le moment, la métamorphose de Somcynsky apparaît beaucoup plus modeste que celle des deux personnages principaux de son dernier roman. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 181-184.
Références
- Cloutier, Georges Henri, Solaris 96, p. 16.
- Larrivée, Stéphane, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 612-613.
- Morin, Lise, imagine… 55, p. 144-146.
- Ouellet, François, Dictionnaire des écrits de l'Ontario français, p. 597.
- Trudel, Jean-Louis, Liaison 73, p. 28.