À propos de cette édition

Éditeur
XYZ
Titre et numéro de la collection
L'Ère nouvelle - 6
Genre
Fantastique
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
126
Lieu
Montréal
Année de parution
1990
ISBN
9782892610277
Support
Papier

Résumé/Sommaire

[6 FA ; 3 HG]
Stryges
L'Homme du sixième
Nuits blanches
Le Visiteur
Ara hyacinthe
Baron Vendredi ou le Seigneur des mouches
Nocturne, opus 2
Quelqu'un à qui s'accrocher
Il écrit

Commentaires

Avec près d’une vingtaine de titres publiés (romans et recueils de nouvelles pour adultes ou pour adolescents) depuis 1979, Daniel Sernine compte parmi les piliers de la science-fiction et du fantastique québécois. Selon la quatrième de couverture, Nuits blêmes, son premier ouvrage s’adressant à un public adulte depuis 1983, marque sa « majorité littéraire » – whatever that means ! Le bouquin réunit neuf nouvelles dont la plupart témoignent de la récente évolution dans l’œuvre fantastique serninienne ; on est loin des premiers récits à caractère « gothique » que l’auteur a pris l’habitude « d’exhumer », sur lesquels j’ai émis certains jugements qui m’ont valu l’inimitié de Sernine. Ici, il nous offre un fantastique « moderne », dans la lignée de son excellent texte « Sur la scène des siècles » publié en ces pages il y a quatre ans et dont on déplore l’absence dans ce recueil. Fini les décors pseudo-historiques, les manoirs et les sorciers maléfiques – ces Nuits blêmes et cauchemardesques sont de béton et d’acier ; elles se réapproprient le Montréal contemporain comme peu d’oeuvres fantastiques québécoises depuis Rue Saint-Denis d’André Carpentier.

« Stryges » se déroule dans le milieu des sans-abri montréalais. L’auteur nous entraîne dans les recoins décadents de la métropole qu’il évoque avec beaucoup de réalisme, pour le plus grand bénéfice de son histoire. Une nouvelle inquiétante, toute en demi-teintes, qui mérite de figurer au palmarès des meilleures histoires d’horreur (de soft horror, disons) de la littérature québécoise. Dans la même veine (c’est le cas de le dire), « Nuits blanches » met en scène des goules qui, pour des raisons pratiques, se sont inscrites à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Lors de sa parution dans le numéro de Solaris consacré au fantastique horrifique, le texte avait été commenté en ces pages d’une manière des plus douteuses. On lui reprochait notamment le prétendu « manque de subtilité » d’une réflexion du narrateur devant un acte de nécrophilie (« Comment il pouvait bander en voyant cette cicatrice d’un mètre, je l’ignore. Une fente en vaut bien une autre, je suppose. »). Cette nouvelle, injustement dépréciée, de même que la réaction qu’elle a provoquée, est une éloquente illustration de mes convictions sur la perversité en horreur. Qu’on se le tienne pour dit, l’horreur n’est pas une littérature pour enfants de choeur. (Dans un autre ordre d’idées, je suis étonné de voir le nom de Valérie Bédard, co-auteure du texte selon Solaris, relégué à une simple note de remerciements.)

Vient ensuite « Le Visiteur », un texte banal et bavard, qui reprend sans invention aucune l’un des plus gros clichés du fantastique : un bédéiste s’engueule avec son père ultra-réactionnaire qui, surprise ! se révèle être mort depuis près d’un an. La véritable surprise tient de l’inclusion dans le recueil d’une histoire aussi « convenue », d’autant plus inexplicable que Sernine réutilise ce punch-qui-n’en-est-pas-un quelques pages plus loin, dans « Quelqu’un à qui s’accrocher ». Ici, une femme s’amourache d’un Adonis rencontré dans une disco, sosie d’une star de cinéma, le suit jusqu’à sa camionnette pour baiser – puis en perd toute trace… jusqu’au lendemain matin où elle apprend par le journal que le beau Mike Stedman, frère du célèbre Tom Speed est, surprise ! mort dans un accident d’avion quelques heures avant qu’elle et lui ne fassent l’amour ! Il y a du Twilight Zone là-dessous, certes, mais Sernine injecte à cette histoire de désir et de mort une telle urgence, une telle sensualité qu’il réussit à en transcender la prévisibilité.

Et justement, parlant de Twilight Zone, Sernine nous offre avec « Nocturne, opus 2 », une adaptation de son sketch pour le spectacle théâtral La Quatrième Dimension, présenté par la troupe Tess Imaginaire il y a quelques années. N’ayant pas vu la pièce, je ne peux juger de la « théâtralité » du texte original ; je reproche toutefois à cette version quelques longueurs. On est, j’imagine, encore très près du texte dramatique et l’auteur aurait gagné à élaguer dans le dialogue pour explorer davantage les rapports troubles existant entre Denis et son frère Stéphane. (Cela dit, je me suis demandé si le Nicolas Comartin de cette histoire, mentor et professeur de piano des deux frères, était le même que dans La Porte mystérieuse. Si oui, faut-il croire que l’abomination qui, à la fin du précédent texte, se préparait à annihiler Comartin a changé d’idée après tout ?..)

Dans « Ara hyacinthe », une brève et habile variation sur le thème du double, on découvre un Sernine différent, moins sombre ; l’auteur n’y dédaigne pas quelques touches d’humour ; par exemple, une fois réincarné dans un corps d’oiseau, le narrateur nous signale en aparté qu’il n’aime plus les chats comme au temps de sa vie d’homme. Ce ton léger, fantaisiste, y est pour beaucoup dans la réussite de cette réjouissante nouvelle.

Avant de conclure, un mot ou deux des nouvelles éliminées parce que ne relevant ni du fantastique ni de la SF… mais qui sont tout de même d’un certain intérêt pour L’Année… « Baron Vendredi et le Seigneur des mouches » se présente comme un texte policier de facture honnête qui avait valu à l’auteur le deuxième prix au Concours de nouvelles Belle Gueule 1989 organisé par la revue Stop. J’écris « se présente comme » car un détail anodin de la nouvelle m’a obligé à questionner la classification de mes patrons Pettigrew et Janelle. À un moment donné, le détective trouve chez un suspect « une édition de poche à couverture glacée des Versets Sataniques ». À mon sens, le fait qu’une telle édition du livre de Rushdie n’existe dans aucune langue devrait suffire pour situer cette histoire dans un univers parallèle et/ou futuriste – à moins que ce ne soit le bouquin qui en provienne… D’une manière ou d’une autre, ce phénomène inexplicable aurait justifié son annexion au champ de L’Année… mais Jean Pettigrew ne le voit pas de cet oeil. Bof, tant pis. Le recueil se clôt sur « Il écrit », une méditation sur les déboires d’un écrivain. Il est difficile de ne pas considérer ce texte comme autobiographique, en particulier à cause de ces références à « L’affaire Belphéron », nouvelle de Dumais parue dans son recueil Légendes et Crimes publié chez Néglect et incluse sans sa permission dans une anthologie de la nouvelle policière québécoise publiée Sedès – allusion directe à la mésaventure de Sernine avec sa nouvelle « Belphéron » extraite de Légendes du vieux manoir (Sélect, 1979) et publiée dans L’Anthologie de la nouvelle et du conte fantastiques québécois au XXe siècle de Maurice Émond (Fides, 1987) sans la permission de l’auteur.

Quoi qu’il en soit, en dépit d’inégalités (le plus souvent inévitables dans le cas d’un recueil de nouvelles), Nuit blêmes demeure une œuvre importante dans la mesure où elle illustre le changement de registre majeur d’un des artisans les plus prolifiques du genre au Québec. [SP]

  • Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 174-177.

Références

  • Bélil, Michel, imagine… 58, p. 132-133.
  • Martin, Christian, Temps Tôt 9, p. 20.
  • Ménard, Fabien, Solaris 92, p. 20-21.
  • Painchaud, Rita, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 614-615.