À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Tout va mal dans la vie de Sara : elle se sent mal dans sa peau, elle est incertaine de son orientation sexuelle du fait que son père est gai, elle est aussi la tête de Turc d’un groupe de jeunes à son école qui la harcèlent à ce sujet. De plus, sa mère est dépressive depuis son divorce. Elle s’est donc jetée dans le travail et ne voit presque plus sa fille qui voudrait bien pourtant se confier à elle. Comme si cela ne suffisait pas, Sara craint que son papa n’ait contracté le SIDA. Incapable de faire face à tout ça, elle décide d’en finir, non sans tenter auparavant de perdre sa virginité avec le beau Frédéric. Même cela ne fonctionne pas car le jeune homme, très responsable, refuse de faire l’amour sans condom.
Pendant la nuit se produit alors un événement, dont Sara n’aura ensuite qu’un souvenir confus, qui fait que le matin venu elle considère désormais les choses sous un angle positif. Envolée l’envie de trépasser ! Sara n’y comprend rien. Tout lui sera cependant expliqué plus tard par Solya, un être lumineux, sorte d’ange gardien, qui l’emmènera dans la quatrième dimension. Là, il dira à Sara pourquoi il est intervenu dans son existence. La journée suivante, Sara a tout oublié, ainsi que le veut Solya, mais forte de sa nouvelle joie de vivre, elle décide de fonder une association pour venir en aide aux adolescents en difficulté.
Commentaires
Le début est accrocheur et conventionnel comme dans un film américain. Après avoir été tirée de son sommeil par un bruit assourdissant, Sara reçoit en pleine face l’équivalent de la lumière d’un gros projecteur vers lequel elle se dirige. Il y a également le journal que tient la jeune fille qui me fait penser à celui de Laura Palmer, héroïne de la série Twin Peaks, mais en moins barbant. Si ce ton avait été maintenu, cela aurait pu donner un roman passable bien que racoleur. Cependant, dès que Sara évoque son karma, le lecteur commence à se méfier en se demandant s’il n’y a là que l’utilisation d’un terme à la mode ou si l’auteure va s’abîmer dans la propagande du Nouvel Âge. Effectivement, le tout se gâte assez rapidement au moment où un être lumineux, membre du Conseil intergalactique, décide d’intervenir dans la vie de l’adolescente, sans quoi elle risque de rater encore une fois son plan de vie comme elle l’a fait dans de précédentes incarnations.
L’être lumineux ne peut cependant communiquer avec la jeune fille sans l’aide d’un décélérateur vibratoire qu’il doit d’abord remettre en état, celui-ci n’ayant pas servi depuis très longtemps car le Conseil n’est pas intervenu dans la vie des humains depuis des éons. Heureusement que l’on décide de rompre avec cette tradition en l’honneur de Sara. Elle doit être une personne importante… Mais la question se pose : qu’est-ce qu’un décélérateur vibratoire ? Il ne suffit pas d’accoler deux mots à 50 $ et à consonance SF pour faire sérieux. Comment se fait-il que le Conseil n’en possède pas un de rechange qui fonctionne ? Ils ont l’air plutôt pauvres et dépourvus de ressources, ces êtres lumineux. C’est d’autant plus illogique que, plus loin dans le roman, Solya explique à Sara que dans la quatrième dimension, la pensée peut créer des objets. Alors, pourquoi donc ces divins fils de la galaxie n’ont-ils pas fait apparaître un décélérateur ? Pourquoi aussi ont-ils besoin de se créer un véhicule pour se déplacer ? Ne leur suffirait-il pas de s’imaginer ailleurs ? L’auteure nomme cela de la pensée magique et elle essaie de nous faire croire que ça marche.
Les personnages ne sont pas très intéressants et ont une nette prédisposition au stéréotype. Par exemple, le père de Sara qui est gai, qui habite le Village et qui a peut-être le SIDA. La mère de Sara est dépressive et elle se jette dans le travail pour compenser. Il y a aussi un personnage de grand-mère écologiste et végétarienne qui s’intéresse aux soucoupes volantes. Elle effectue d’ailleurs des voyages dans la quatrième dimension. Elle est aussi la personne âgée qui sait écouter les jeunes et les conseiller sans les juger. Si au moins ce type de personnage correspondait à la réalité, mais dans une société où chacun refuse de vieillir et se dit jeune de cœur jusqu’à l’âge de 90 ans, la prétendue sagesse des vieux est davantage un vœu pieux qu’une réalité concrète. N’oublions pas ce grand dadais de Frédéric qui est tellement mature pour ses quinze ans que, même une fois excité sexuellement et au lit avec une Sara tout à fait consentante bien que cynique, il refuse d’aller jusqu’au bout parce qu’il n’a pas de condoms. Difficile à croire.
Sara elle-même a l’air d’une parfaite petite gourde quand elle ne cesse de répéter à Solya qu’elle ne comprend rien à ses explications pourtant limpides alors que l’être lumineux ne fait qu’énoncer des théories ésotériques actuellement très répandues. Cela n’empêche pas l’adolescente de se retrouver, après son voyage, avec des pouvoirs de divination qui lui permettent d’apprendre que Jean-Paul, son pire ennemi, est obligé par son oncle de jouer dans des films pornos, ce qui, semble-t-il, le traumatise beaucoup, d’où son attitude négative. Par contre, malgré ses nouvelles capacités parapsychiques, Sara demeure incapable de comprendre ce que ressent sa meilleure amie. L’invraisemblance n’étouffe pas Suzanne Duchesne. Jean-Paul, évidemment, changera de vie sous l’influence de Sara, mais on ne mentionne plus son oncle. Il n’a pas à changer de vie lui aussi ? Ah ! n’oublions pas que Solya affirme que tout ce qui nous arrive sert à nous faire grandir, tout est dans la manière de voir les choses.
Suzanne Duchesne voudrait bien se montrer moderne et aborder de front les situations et problèmes que vivent les jeunes d’aujourd’hui mais on croit sentir qu’elle n’a pas réellement une expérience directe de ces choses. Elle ne réussit donc à en traiter que de façon lourdaude et peu convaincante. Ses prétendues solutions ne sont rien d’autre qu’un étalage de bons sentiments. Il me semble qu’en tant que professeure et pédagogue, elle devrait connaître des moyens plus réalistes et concrets pour répondre aux problèmes des jeunes. S’il faut attendre qu’interviennent des êtres lumineux pour changer nos vies, cela risque d’être long.
Paradoxalement, Suzanne Duchesne semble en même temps complètement obnubilée par son rôle d’éducatrice ainsi que le démontre cette scène tout à fait risible où Solya projette à l’intention de Sara un film éducatif sur sa vie. De plus, pourquoi empêcher Sara de se suicider si elle a, comme dans un jeu vidéo, de multiples vies pour se reprendre ? Si la réincarnation est vraie, se tuer est un choix logique si notre existence nous dégoûte. Dans ce contexte, je ne comprends même pas pourquoi Solya se donne la peine de sauver l’adolescente. Puis, ce Solya est tellement moralisateur, sérieux et soporifique qu’on se dit que la perfection doit aller de pair avec l’impassibilité et les longs monologues édifiants. Quand l’auteure prétend qu’un amour infini se dégage de ce personnage, on a envie de rayer le mot « amour » pour le remplacer par « ennui ».
La pensée positive et l’adhésion à quelque forme que ce soit de pseudo-spiritualité ne sont que des fuites en avant pour nier la difficulté de vivre ou, alors, le choix patent de gens qui n’ont jamais eu de problèmes majeurs ou n’ont jamais éprouvé vivement le spleen de l’existence. Je ne crois pas que la littérature jeunesse doive servir à véhiculer ce genre d’idées qui ne peuvent que décevoir les jeunes lecteurs. Ils risquent simplement de devenir plus cyniques encore quand ils se rendront compte que les bons sentiments ne règlent pas tout. En ce sens, je trouve que ce genre de roman est encore plus pernicieux qu’un roman d’horreur où la violence peut servir de catharsis chez des gens par ailleurs pacifiques. J’ai constaté aussi, au fil de mes lectures, que dès que le merveilleux apparaît dans ce type de romans nouvelâgeux, l’intrigue disparaît pour faire place à de longues considérations et affirmations insipides. [DJ]
- Source : L'ASFFQ 2000, Alire, p. 62-65.
Références
- Champagne, Éric, Lurelu, vol. 24, n˚ 1, p. 33.