Odyssée du Pénélope (L')

Carl Biggul est un jeune médecin du XXII^e siècle, avide d’exotisme, qui commence par chercher l’aventure aux Îles-de-la-Madeleine. Il y rencontre Enia Makintock, la fille du légendaire commandant Fitzchab qui a dirigé la première tentative de colonisation martienne. Toutefois, Biosphère M a été détruite soixante ans plus tôt par une explosion inexpliquée. Une expédition, des années plus tard, n’a pas trouvé de survivants ou d’explications. Profitant d’une nouvelle conjonction favorable des orbites de la Terre et de Mars, deux autres expéditions s’apprêtent à retourner sur Mars. La seconde est financée par les instances de la station Lagrange 5 et par Enia Makintock en personne.

Biggul insiste pour accompagner Makintock sur Lagrange 5 afin de prendre soin de sa patiente. Cédant à l’attrait d’une telle équipée, il ne se fait pas prier quand celle-ci l’invite à se joindre à l’expédition martienne, en sa qualité de médecin. Toutefois, en faisant escale sur Lagrange 5, il tombe amoureux de Laurianne Grount, la fille du capitaine de l’expédition.

Enia Makintock, déterminée à ne pas se passer de lui, embarque Biggul de force à bord du Pénélope, le petit engin qui les mènera sur Mars. La séparation des deux tourtereaux est déchirante. Cependant, Biggul peut se rassurer : Roge Dumas, autre prétendant de Laurianne, est le quatrième membre de la petite équipe. Carl n’est donc pas plus mal loti que son rival…

Sur Mars, le Pénélope entreprend l’exploration du Valles Marineris où Biosphère M avait disparu. En peu de temps, Carl et Enia effectuent découverte sur découverte. Dans une région encaissée et propice à la constitution d’un microclimat, les animaux de Biosphère M ont survécu et ont connu une évolution accélérée : chats volants, grands lapins herbivores, rats géants chassant en meutes… Surmontant de multiples difficultés, Enia et Carl retrouvent les restes du commandant Fitzchab. Et découvrent une ancienne forme de vie martienne à base de cristaux. C’est la symbiose des cristaux et de l’ADN terrestre qui avait poussé les humains de Biosphère M au bord de la folie, au point de les inciter à détruire la base pour éviter la propagation de ce qu’ils prenaient pour une infection. Les cristaux martiens avaient également stimulé l’évolution des animaux survivants. Ils infectent Enia Makintock, qui croit sentir chez eux un reste de l’esprit de son père disparu.

Seul Carl parvient à s’échapper et à rejoindre la première expédition terrienne, qui a déjà recueilli Roge Dumas. Sur le chemin du retour, les scientifiques se rendent compte que le système immunitaire humain, avec un peu d’aide, peut rejeter les cristaux martiens. Le sacrifice du commandant Fitzchab aura donc été inutile. Mais Carl Biggul songe déjà à ses retrouvailles imminentes avec la jolie Laurianne…

Le roman de Guillet dégage un charme suranné, fait d’un curieux mélange de Verne et de Heinlein, avec un zeste de Clarke, le tout assaisonné des fruits d’un travail de documentation poussé. L’ardeur juvénile de Biggul, qui avoue volontiers ses ignorances et ses maladresses, rappelle certains héros de Heinlein. L’enthousiasme naïf des descriptions techniques évoque certains passages de Verne.

L’accumulation de péripéties, parfois cocasses, parfois tragiques, permet à Guillet de relancer l’action après chaque dissertation historique ou scientifique. Pour un peu, cette particularité ferait du roman un parfait exemple de la science-fiction classique et bien carrée de naguère. Cependant, en matière de rapports entre les personnages, l’histoire paraît nettement démodée. Guillet choisit même de faire de la société de Lagrange 5 un havre de valeurs plus conservatrices que sur la Terre du XXII^e siècle, au point d’avoir ressuscité de vieilles pudeurs victoriennes face à la nudité partielle.

Ainsi, si Enia Makintock a quelque chose des excentriques entêtés de Jules Verne, Laurianne ne fait pas vraiment songer aux héroïnes de Heinlein, qui étaient autrement plus fortes et présentes dans la narration. Et la candeur de Carl Biggul, qui peut paraître plus réaliste chez un jeune homme que la lucidité, le dessert. Comme narrateur, il donne l’impression de ne pas savoir ce qu’il veut et de changer d’avis comme une girouette. Toutefois, sa spontanéité fait sans doute de lui un personnage plus accessible pour les jeunes lecteurs.

L’auteur a consenti un effort de recherche louable afin d’étoffer ses évocations de la civilisation du XXII^e siècle. Il n’a pas échappé à certaines erreurs. Ainsi, Lagrange 5 est décrite comme se trouvant beaucoup plus près de la Lune qu’elle ne le serait en réalité. Toutefois, ce sont les cristaux martiens qu’il postule qui sont les plus invraisemblables. Même si on peut aisément admettre une forme de vie élémentaire de nature minérale et cristalline, il est douteux que des cristaux organisés puissent coexister, au sein de cellules animales, avec l’ADN à l’échelle moléculaire. Et des cristaux qui seraient intelligents par surcroît constituent un des clichés les plus tenaces et les moins justifiés de la science-fiction moderne. De tels cristaux semblent plus proches de l’ésotérisme nouvelâgeux que de la science relativement rigoureuse à laquelle Guillet fait appel dans le reste du livre.

Néanmoins, L’Odyssée du Pénélope n’a pas été rédigé pour des lecteurs aussi pointilleux. Il se compare plus qu’honorablement aux autres ouvrages de science-fiction pour jeunes paraissant en français au Canada. Du point de vue de la vulgarisation, il a fort peu de rivaux. Et, même si ses aspects romanesques semblent éculés, qui sait si les lecteurs de Jean-Pierre Guillet n’iront pas découvrir ensuite la trilogie martienne de Kim Stanley Robinson et le reste de la science-fiction moderne ? [JLT]

• Source : L'ASFFQ 1997, Alire, p. 99-101.

• Gaudreau, Sophie, Lurelu, vol. 20, n˚ 2, p. 26.