À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Une expédition menée par Saco et sa femme Jana quitte Némésis pour la Terre, planète d’origine des Némésiens. Sa mission : trouver un remède à la stérilité subite des Némésiennes. Malheureusement, le but de l’expédition est contrecarré. Dès son arrivée sur Terre – plus précisément au Québec –, le groupe est scindé. Lors d’une sortie de reconnaissance, Saco devient amnésique et se perd. Les années passent ; il s’aménage une nouvelle existence, trouve un emploi, rencontre une femme, Marie, dont il a une fille, Eve.
De leur côté, Shantil, Jana et Amon (fils de Saco et Jana) vivent à Montréal. Tandis que Jana met ses pouvoirs au service de la population, Amon devient un musicien de génie. C’est Amon et Eve qui réunissent les époux némésiens grâce à leur faculté de télépathie. Enfin regroupée, l’expédition découvre sa véritable mission. Les Némésiens ont été chargés par les Grands Maîtres, à l’origine de la vie humaine, de sauver la Terre du cul-de-sac dans lequel elle s’est engagée.
Commentaires
Carol Boily ouvre son roman comme suit : « Je suis devant mon clavier, à rêver de faits d’armes et d’odyssées, je rêve que je suis avec des braves et des dieux, mais leur monde est tellement loin d’ici… » (p. 7). Une préface suit, qui mentionne entre autres que « les dialogues ont été convertis en français. Vous ne m’en voudrez pas, car les langues de Némésis et de Gherkos sont tout à fait incompréhensibles pour les non-initiés. » (p. 10). Ajoutons à cela l’essai intitulé « Les Extraterrestres » qui clôt ce roman – visiblement un premier roman… Le lecteur comprend qu’il aura droit à 275 pages d’un mauvais texte.
L’Odyssée sur Terre est un roman médiocre à plus d’un titre. Tout d’abord, le texte manque de fil conducteur. Le récit est formé de possibilités diégétiques laissées en plan. La mission première de sauver de la disparition la race qui habite Némésis est complètement abandonnée au profit des aventures terriennes. Des péripéties frisant d’ailleurs le rocambolesque en ce qui concerne le personnage principal, Saco, qui se retrouve un moment membre d’un groupe terroriste. Des aventures presque inutiles, puisque la conclusion du roman révèle la véritable mission des Némésiens.
Ce manque de cohérence structurelle est accentué par la difficulté de traiter efficacement des personnages placés sur des axes diégétiques différents. Ces personnages se montrent par ailleurs sans consistance et stéréotypés, surtout en ce qui a trait aux personnages féminins. La narration s’attache principalement à l’aventure terrienne de Saco – sa vie familiale et campagnarde. On est loin de la guerre entre Gherkos et Némésis, cause initiale de la stérilité des femmes némésiennes… De plus, le texte ne développe que peu la présence des Grands Maîtres, créateurs déçus par l’évolution tragique de la Terre.
Les aventures interplanétaires et terriennes mises en place par Boily ne servent qu’à amener un propos catastrophique et "pédagogique" sur l’impasse où se trouve acculée l’humanité. Selon Saco, inspiré des Maîtres, la Terre souffre de quatre plaies : la haine, le système de gouvernement, l’ignorance, la pollution. Une idée développée en outre dans l’essai : si des extraterrestres habitent l’univers, ils sont tellement éloignés que l’homme ne peut compter que sur lui-même pour se sauver de la menace nucléaire. Sous-entendu : l’homme ne peut que se détruire. Pour remédier à cette situation apocalyptique, l’auteur avance l’idée d’une fédération planétaire où les dépenses militaires seraient détournées au profit de l’environnement et du mieux-être des hommes.
La vertueuse colère de Boily apparaît louable. Elle est malheureusement alourdie par une histoire cousue de fil blanc et un style "enflé" où se mêlent lyrisme et ton familier. De plus, à ce texte éminemment naïf s’attache une isotopie chrétienne évidente. Saco fait figure de Jésus-Christ délégué par les Grands Maîtres pour répandre la "bonne nouvelle". Il va transmettre aux membres de l’expédition (les apôtres) les « dons de Force et Paix », représentés par une flamme qui va se placer au-dessus de chacune des têtes…
Enfin, le récit de Boily manque singulièrement de perspective sociohistorique – situation paradoxale pour un texte proposant une réflexion sur le sort humain. L’histoire se déroule en effet de 1952 à 1988. Pourtant, aucune allusion n’est faite au contexte sociohistorique de cette époque. Les Némésiens s’interrogent à peine sur les événements qui surviennent. De fait, seule l’action terroriste s’attire la réprobation (toute occidentale) de l’auteur. Quand les personnages portent un regard sur la société, c’est pour tendre à l’universel ; le Québec, où se situe pourtant l’action, est mis à l’écart. Et le lecteur cherche en vain la désillusion némésienne devant les "plaies" terriennes – une neutralité qui rend les révélations inspirées de Saco étonnantes, sinon déplacées.
Malgré ses défauts, le texte de Carol Boily possède une fraîcheur certaine, provenant sans doute de la naïveté du récit, du propos qui le sous-tend et de son traitement. Elle provient aussi de l’enthousiasme de l’écrivain : on le sent vibrer pour ses personnages. Le récit s’attarde longuement sur Saco, crée un effet de suspense lors de ses mésaventures avec les terroristes et son sauvetage in extremis par ses enfants.
Prochaine mission pour l’odyssée de l’écriture : débroussaillement, élagage… et conservation de la flamme sacrée. [SB]
- Source : L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 36-38.
Références
- Cloutier, Georges Henri, Solaris 88, p. 19.
- Fontaine, Anne-Chantal, L'Express de Toronto, 04/10-07-1989, p. 8.
- Marchildon, Daniel, Liaison 51, p. 19.
- Pelletier, Marie-Ève, Le Droit, 12-11-1998, p. 48.
- Rousseau, Manon, Dictionnaire des écrits de l'Ontario français, p. 604.
- Trudel, Jean-Louis, La Rotonde, 06-12-1988, p. 11.
- Trudel, Jean-Louis, Samizdat 16, p. 47-48.