Œuf des dieux (L')

Alors qu’il s’approche d’une planète pouvant accueillir le peuple encoconné du roi Richard, le Cétacé est attaqué par des chasseurs galactiques. Quelques navettes permettent aux passagers d’atteindre la planète en sécurité alors que l’astronef, et sa cargaison de cocons, s’y écrase au milieu d’une étrange mer de brume.

Habitant cette planète, le peuple de Bôbec, une race de grands oiseaux, a vu choir du ciel avec stupéfaction cet œuf des dieux qui a tué plusieurs Valeureux lors de son écrasement. Aussi l’assemblée du village décide-t-elle d’envoyer une patrouille vers le petit œuf qui s’est dirigé, peu après, vers le site de la catastrophe. Il s’agit en fait de la navette du roi Richard qui s’impatiente, espérant dégager au plus vite son peuple de l’épave du Cétacé, mais aussi des cocons qui maintiennent ses gens en état de stase.

Alors que les rescapés remontent péniblement les cocons, un premier heurt se produit entre nouveaux arrivants et autochtones. Et ce sera pire lors de la deuxième rencontre : l’énervement d’un garde fera en sorte que tous les grands oiseaux, sauf Becourage, qui sera capturé, seront tués. Bôbec, témoin de la scène, veut le secourir. Avec quelques Valeureux, et contre la volonté de l’assemblée, il tente l’opération qui se soldera par plusieurs morts supplémentaires.

Au village, l’assemblée souligne la gravité de son geste et ses conséquences immédiates : s’ils ne s’exilent pas, tous les habitants du village risquent d’être annihilés par les « sans-plumes » lors de futures représailles…

L’Œuf des dieux inaugure une nouvelle collection jeunesse, Chacal, dédiée au fantastique, à la science-fiction et à l’horreur. Son directeur, Pierre Lacroix, illustrateur bien connu et animateur du défunt et regretté zine Carfax, a donc débuté sa collection avec un titre de Christian Martin, lui-même directeur du zine Temps Tôt, qui sera bientôt lui aussi défunt et regretté. J’établis ce parallèle afin de souligner la coïncidence, mais aussi pour montrer que nous sommes en présence de gens qui connaissent bien les genres et leurs rouages. Et le résultat est probant pour ce premier titre, il va sans dire. La première chose qui frappe, chez Martin, c’est la profonde humanité qui se dégage de ses personnages. Malgré un petit côté bédé et caricatural qui, ma foi, ne présente guère d’inconvénient en littérature jeunesse, cette histoire, reprenant le thème classique de la colonisation d’une planète habitée par une race primitive, séduit le lecteur par la simplicité de l’intrigue pourtant truffée de rebondissements et de trouvailles langagières. Alternant le point de vue des colonisateurs humains et du peuple Mot-Yeurk, Martin mène son histoire jusqu’à la rencontre inéluctable qui tournera mal, non pas en raison de la méchanceté de l’une ou l’autre des parties, mais à cause d’une étourderie, suivie d’une méprise excusable, puis d’un sursaut de colère… bref, à la suite de circonstances navrantes mais ô combien vraisemblables.

C’est d’ailleurs cette vraisemblance et la candeur des Mots-Yeurk qui permettront de passer outre certaines maladresses de structure qui, avouons-le, laissent le lecteur aux prises avec plusieurs questions sans réponse : qu’est-il véritablement arrivé au peuple du roi Richard, qu’est-ce qu’une démouille, pourquoi les chasseurs galactiques s’en prennent-ils au Cétacé, quel est le véritable effet du brouillard dans lequel est tombé le Cétacé et pourquoi n’a-t-il pas touché les sauveteurs ? Et puis, il y a le final qui, à la suite de l’annonce de l’exode, ressemble davantage à un résumé du prochain volume à venir et rompt singulièrement le charme et le rythme de l’histoire. Manque d’espace ? Difficulté à conclure ? Volonté de raccorder ce roman à une production antérieure de l’auteur ? Seul ce dernier peut donner une réponse à ces interrogations.

Malgré ce qui précède, Christian Martin a quand même signé, avec L’Œuf des dieux, un roman jeunesse agréable à lire et qui saura sûrement plaire à la clientèle visée. [JPw]

Source : L'ASFFQ 1997, Alire, p. 120-122.

• Drolet, Jean-Denis, Lurelu, vol. 20, n˚ 3, p. 33-34.