À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Nouvellement affecté à la couverture des actualités culturelles, le journaliste Jacques Saint-Martin compte bien faire sa marque et atteindre la notoriété. Il a vent d’une rumeur qui court dans le milieu de l’édition à l’effet que Zappi, alias John Ludvic, le célèbre auteur de la série À la recherche de la terre perdue, aurait mis fin à celle-ci. Jacques espère que le bédéiste se souviendra qu’ils ont déjà été coéquipiers au hockey et qu’il pourra ainsi obtenir une entrevue exclusive et un “scoop” sur l’avenir de la série. Il parvient à être reçu par John dans son studio. D’abord hésitant, le dessinateur confie à Jacques une incroyable histoire.
Il y a quelque temps, alors qu’il dessinait les aventures de Bénouk, Cirandella et Mercuron, les héros de sa bande dessinée de science-fiction, ceux-ci ont décidé de se révolter contre leur créateur et de ne plus se comporter selon les lignes directrices du scénario. Les trois personnages en ont assez de vivre des aventures dominées par la violence et la haine. Ils sont déterminés à ne plus se laisser faire. De plus, ils veulent que leur créateur donne au monstre Mercuron, ennemi irréductible de Bénouk, un visage humain.
Bien plus, les personnages rebelles de Zappi circulent entre leur monde imaginaire et le monde réel de leur créateur par l’intermédiaire d’un immense album qui occupe une partie du studio du dessinateur. Après avoir tenté de reprendre le contrôle de ses personnages par toutes sortes de stratagèmes, Zappi doit se rendre à leurs désirs et mettre fin à la série.
Jacques a peine à croire cette histoire invraisemblable mais le lendemain matin, quand il apprend la disparition de John dans des circonstances mystérieuses, il commence à penser que son ami n’avait pas rêvé. Ses doutes sont balayés quand il aperçoit sur la couverture de l’album géant les trois personnages dans de nouveaux rôles beaucoup plus quotidiens et, à l’arrière-plan, un petit homme chauve qui dessine sur une table. Jacques sait maintenant que Zappi a rejoint ses personnages dans leur univers.
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Commentaires
Le rapport entre l’imaginaire et le réel est un sujet qui intéresse beaucoup les créateurs québécois depuis une dizaine d’années. La vision de ces deux mondes a grandement évolué vers un décloisonnement. Désormais, la circulation est possible entre ces deux niveaux de réalité, de sorte que les êtres imaginaires acquièrent presque autant de présence physique que les vrais personnages supposés appartenir à la réalité du lecteur ou du spectateur. Le film de Woody Allen, La Rose pourpre du Caire, a en quelque sorte lancé la mode.
Le sujet du roman d’Yvon Brochu, On ne se laisse plus faire, n’est pas sans rappeler ce film dans lequel un personnage de fiction quittait le grand écran et refusait de suivre le scénario mis en scène par le réalisateur afin de vivre sa vie propre. Chez Brochu, c’est un dessinateur qui est aux prises avec des personnages récalcitrants. C’est évidemment tout le processus de la création qui est remis en question ici, de même que la frontière de plus en plus mouvante qui sépare le réel de l’imaginaire. Mais ce qui intéresse particulièrement Yvon Brochu dans ce thème, c’est la responsabilité du créateur. En effet, le bédéiste Zappi propose aux jeunes des super-héros de BD de science-fiction lancés dans des aventures qui se nourrissent de situations stéréotypées (manichéisme primaire) et de violence.
Qu’il en soit conscient ou non, le créateur véhicule des valeurs relatives à la société et aux rapports humains qui influencent grandement les jeunes lecteurs. Les personnages de Zappi refusent de cautionner plus longtemps la violence qui les caractérise quand ils apprennent qu’ils sont des modèles pour les jeunes. « Ils t’admirent !.… Ils t’imitent, même ! — Ils tuent ? (demande Bénouk). Zappi est surpris par le visage soudainement angoissé de Bénouk. » Zappi sait bien que c’est la fin de la série s’il met de côté la violence, élément essentiel des aventures des super-héros de BD à la Batman, Superman et autres justiciers. Il sait aussi que la violence vend plus que les histoires de personnages heureux qui cueillent béatement des fraises dans un champ.
Cette réflexion sur la responsabilité morale du créateur constitue l’aspect le plus intéressant et le plus original du roman d’Yvon Brochu car la question de la responsabilité en appelle une autre : jusqu’où va la liberté de l’artiste ? Est-elle au-dessus de toute considération morale ? Comment concilier la liberté de création et le sens des responsabilités ? De la part d’un auteur qui écrit des livres pour jeunes, voilà des questions qu’il est utile de se poser.
Par ailleurs, si ce genre de réflexion à haute voix n’est pas fréquente dans la littérature de jeunesse, le roman de Brochu se montre fort représentatif de cette production à d’autres égards. Je veux parler de la profession de ses deux personnages principaux. Jacques Saint-Martin est journaliste tandis que John Ludvic est bédéiste. Les artistes, et plus particulièrement les écrivains, ont la cote ces temps-ci. Rares sont les personnages qui occupent des emplois manuels. Si l’on faisait un sondage, il ne serait pas surprenant que le métier de reporter vienne au premier rang des choix de profession des adolescents tant les personnages de journaliste sont nombreux dans les romans pour jeunes.
L’éditeur nous informe en quatrième de couverture que ce roman a d’abord été une pièce de théâtre. Cela explique le côté statique de On ne se laisse plus faire. Il ne se passe à peu près rien dans le temps présent du récit. Les démêlés de Zappi avec ses personnages ne sont pas vécus en direct. C’est le dessinateur qui les relate, ce qui enlève de la force au récit. La majeure partie de la narration est concentrée dans un seul lieu, l’appartement de John, alors que Jacques écoute les propos de son ami. Ce traitement crée une distanciation qui ne peut qu’amplifier chez le lecteur le sentiment d’être exclu de l’action et de n’être pas concerné. Ce manque de dynamisme de la narration représente le handicap majeur du roman. Brochu n’a pas su trouver les procédés narratifs qui auraient permis de faire oublier que cette histoire est comme menottée par la règle des trois unités : unité de temps, unité de lieu et unité d’action.
Je ne suis pas sûr que l’anecdote à la base du roman de Brochu va enthousiasmer les jeunes lecteurs bien que la BD soit un médium qui les intéresse beaucoup – c’était sans doute le plus indiqué dans les circonstances. Voilà un sujet qui n’est pas facile à maîtriser et qui répond peut-être moins à leurs préoccupations immédiates. Il ne suffit pas de parsemer le récit de quelques clins d’œil à des titres de Raymond Plante (le dernier des raisins) et Jacques Pasquet (mystère et boule de gomme) pour séduire les adolescents. En outre, les personnages de Jacques et de Zappi n’ont guère plus d’épaisseur que les héros de la BD. Si Yvon Brochu veut réutiliser le personnage de Jacques, il devra le définir beaucoup mieux et lui donner plus de présence.
En somme, si l’originalité du thème et l’audace de l’auteur devaient suffire à assurer le succès du livre, on ne s’inquiéterait pas pour On ne se laisse plus faire. Mais ce n’est jamais aussi simple que cela… [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 305-307.
Références
- Le Brun, Claire, imagine… 54, p. 113-115.
- Provost, Michelle, Vie pédagogique 66, p. 25.