Paradis perdu (Le)

Le biologiste Rojean, assistant du professeur Hardy, travaille à une expérience sur des rats ramenés d’un long voyage dans l’espace, effectué à des vitesses relativistes : ils ont vieilli moins vite que leurs congénères terriens. Mais le professeur Hardy s’intéresse aussi à un virus qui induit la leucémie chez les rats et qui se transmet à l’homme. Infecté accidentellement, Hardy meurt du cancer, suivi après quelques semaines par la mère de Rojean : la contagion est donc possible.

Rojean est contraint à servir de cobaye et de pion au général Romain Lar, commanditaire secret de Hardy, et accepte de faire un voyage spatial en boucle à la vitesse de la lumière, en état d’hibernation, pour voir si les humains réagiront aussi bien que les rats à l’expérience. Le but secret de l’expédition est aussi d’infliger à une nation ennemie, au cas où elle sortirait gagnante d’une guerre nucléaire, une défaite par l’arme virale.

Mais lorsque Rojean repasse, la Terre est aux prises avec l’hiver nucléaire. Au terme de plusieurs circuits, il finira par revenir dans le passé de la planète, pour vivre dans ce paradis perdu dont sa mère évoquait la mémoire, la Terre du vingtième siècle.

Le paradis perdu de Rojean et de sa mère, c’est le passé – notre présent à nous : soleil et ciel clair, arbres verts, rivières relativement limpides, air respirable. En l’an 2127, cela n’existe plus que dans le souvenir des vieilles femmes citant le témoignage de leurs propres grands-parents. La Terre future est si polluée que la population – huit milliards d’humains au système immunitaire anémié – a commencé à décroître sous l’assaut des maladies et des substances toxiques.

Jean-Pierre Guillet parvient, en moins de cent vingt pages, à effleurer la plupart des thèmes majeurs de la SF, anciens et modernes : dystopie post-industrielle, totalitarisme à la 1984, recherches biogénétiques, holocauste nucléaire planétaire, voyage spatial relativiste, retour vers le passé et paradoxe temporel. Évidemment, l’auteur n’a guère le temps d’approfondir quoi que ce soit, et surtout il n’invente rien. Le lecteur de SF aguerri a même l’impression que Guillet essaie d’entasser trop de sujets entre les deux couvertures, et qu’il recourt sans vergogne au raccourci. Le jeune lecteur, lui, aimera sans doute le rythme enlevé qui en résulte : aucune longueur dans ce roman, en tout cas !

Rafraîchissante surprise en littérature de jeunesse : des épisodes de relations sexuelles employant des mots fort explicites, cela chez un éditeur qui n’était guère reconnu pour son avant-gardisme. En l’occurrence, le couple Rojean-Noémie fait usage d’enveloppes corporelles, sortes de condoms à l’échelle du corps entier, et la narration en explique le fonctionnement. D’ailleurs, c’est sans pudeur que l’auteur traite des fonctions corporelles, le recours au vocabulaire physiologique étant inévitable dans un roman où une bonne part de l’intrigue est biomédicale.

De façon générale, ce roman classé « ado » ne fait pas de compromis pour les capacités de lecture des jeunes : il est exigeant par sa thématique et son vocabulaire. Agréable apport à la SFQ pour jeunes, donc, et ce dans une collection non spécialisée : un bon roman de SF, avec une fort belle couverture, ce qui ne gâche rien. [DS]

• Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 88-89.

• Dell'Olio, Vesna, Lurelu, vol. 15, n˚ 1, p. 20.
• Higdon, Pascale, imagine… 59, p. 127.
• Martel, Julie, Solaris 100, p. 58.