À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
[2 FA ; 7 SF ; 9 HG]
La Thérapie
Le Roman policier
Les Parties du corps
La Sentinelle
L'Habitude des néons
La Pudeur
Au coin de et de
La Résistance
Gigogne
Saint-Luc-sur-Nive
Surveillants et d ten s
Jessica
Le Tiroir de l'autre
La Mort dans ses draps
L'Autre Sud
Les Manies du sommeil
La Place des miroirs
La Fuite
Commentaires
Tu t’avançais avec anxiété devant la page blanche pour y coucher tes réflexions sur Parcours improbables de Bertrand Bergeron. Tu savais d’avance que le travail de mise en train serait difficile mais qu’une fois lancée, rien ne pourrait arrêter ta prose critique. Tu avais lu avec autant de plaisir « Jessica » et « Surveillants et d ten s » qu’au moment de leur première parution dans des revues. C’étaient dix-huit textes de cette qualité que tu venais de lire dans Parcours improbables. Et tu essayais maintenant de savoir pourquoi ces textes t’avaient plu à un point tel que tu aurais pu envisager sereinement de délaisser à tout jamais la littérature.
Pourtant, tu n’avais peut-être pas suivi le mode d’emploi idéal pour appréhender cette œuvre. Lire ces textes à la queue leu leu aurait pu engendrer un effet de monotonie, considérant qu’ils se situent tous dans le même registre. Si c’était à recommencer, tu t’en réserverais la lecture d’un par jour, sans compter que ce régime ferait durer encore plus longtemps le plaisir.
Tu étais ébloui par la fragilité des personnages que Bertrand Bergeron faisait vivre. Tu avais l’impression de les connaître depuis longtemps alors qu’ils venaient de t’être présentés et que l’auteur se montrait peu loquace sur leur passé. Et pourtant, tu pouvais lire entre les lignes la détresse de l’être solitaire, le drame de la perte de l’espoir qui soutient l’être humain, le sentiment d’incommunicabilité qui empêche le couple de se rejoindre, l’angoisse de l’individu dans une société dont les rapports sont programmés et déshumanisés.
Ces perceptions t’étaient transmises par le non-dit du texte, territoire caché d’une richesse inouïe de sentiments. Car l’écrivain travaillait véritablement sur l’instant, sur le fugace, sur l’éphémère, sans que cette situation retenue ne soit vraiment plus importante qu’une autre, mais comment savoir ? Bertrand Bergeron était attentif à la faille, à la cassure imminente de l’équilibre précaire que tentait de conserver son personnage. Tu en frémissais parce que ces situations revêtaient à tel point un caractère quotidien qu’elles auraient pu être le reflet présent ou à venir de ta vie. Tu avais ressenti une pareille empathie et une semblable émotion à la lecture des deux premiers romans de Fernand Ouellette.
Tu n’avais pas été étonné d’apprendre d’ailleurs que l’auteur se reconnaissait une filiation avec les poètes de la NBJ. Il y avait dans ses textes une poésie de la condition urbaine, une attention au corps, une violence souvent sauvage sans qu’ils soient hermétiques comme ceux de ses confrères poètes. Il avait choisi délibérément la prose, plus accessible, mais n’avait pas renoncé cependant à renouveler la forme par de nouvelles techniques d’écriture.
Il s’intéressait plus particulièrement dans ce recueil à la question des points de vue, qu’il multipliait par exemple avec brio dans « Jessica », points de vue qui introduisaient souvent un caractère insolite ou un malaise dans le récit. L’écriture se faisait un peu plus expérimentale dans « Surveillants et d ten s » alors que Bergeron déplaçait la capitale sur une lettre ou l’autre de détenu (Détenu ou détenU) pour identifier les personnages. Tu convenais que ce procédé et quelques autres effets de style pouvaient paraître brillants mais parfois gratuits, sans toutefois aller jusqu’à remettre en question leur efficacité. Tu pensais alors aux reproches qu’une certaine critique adressait aux films de Jean-Jacques Beineix.
Toi qui étais à la recherche de traces de fantastique et de science-fiction dans ce recueil, tu avais été un peu désarçonné d’en relever des traces fugaces qui correspondaient si peu à ce que tu trouvais d’habitude en SFQ. À part les textes véritablement de SF comme les deux déjà cités au début et « Saint-Luc-sur-Nive », les autres que tu associais à ce genre ne comportaient en fait qu’un potentiel SF. Tu étais sûr qu’un amateur de littérature mainstream ne verrait aucun effet de SF dans « La Fuite », ce qui ne l’empêcherait pas de l’apprécier. Mais toi, tu ne pouvais pas ne pas songer à l’atmosphère de certains textes d’Esther Rochon qui décrivaient les pérégrinations d’un peuple pendant des années.
Tu avais fini par identifier ce qui donnait une coloration SF à plusieurs textes de Bergeron : c’était cette description extrêmement sommaire d’une société qui, tout en étant très proche de la tienne, n’était pas tout à fait elle, sans pour autant être située dans un avenir éloigné. À moins que tu n’aies refusé de la reconnaître comme la tienne, comment savoir ? parce que tu n’aurais pu supporter cette révélation. Tu te raccrochais désespérément à cette image du service qui conférait, à ton avis, une dimension futuriste à quelques-uns de ces textes.
Ce service jamais nommé qui organisait le hasard, qui programmait les rencontres amoureuses à l’insu de l’un des deux partenaires, t’apparaissait comme une preuve irréfutable que cette société n’était pas la tienne, qu’elle ne pouvait appartenir qu’au futur sans pour autant nier qu’elle existait déjà en germe dans ton univers, alors que les rapports socio-affectifs devenaient de plus en plus difficiles et dépersonnalisés, comme si l’individu perdait contact avec son identité et ne pouvait plus rejoindre l’autre que par la souffrance commune plutôt que par l’amour partagé. En somme, une société à la Brazil.
Quant au fantastique, plus accidentel encore, tu l’avais noté dans « Le Roman policier » et dans « La Sentinelle ». Dans le premier cas, tu reconnaissais le cadre fantastique habituel mais le récit lui-même ne l’était pas car le cadre ne générait pas d’effets fantastiques sur le personnage. Cette absence d’inter-dépendance entre le cadre et le récit en faisait un fantastique virtuellement inopérant tandis que dans l’autre texte, dont le thème rappelait étrangement une nouvelle de Gaétan Brulotte, Le Surveillant, le fantastique confinait à l’absurde en raison de la futilité profonde du travail de la sentinelle.
Malgré tout, tu ne pouvais dissimuler ton admiration pour le recueil de Bertrand Bergeron qui tirait ses effets de mystère de la forme et de l’écriture qu’il maîtrisait, tel un orfèvre de la forme. Et tu étais prêt à admettre d’emblée que c’était avec de telles œuvres que se redéfinissaient continuellement le fantastique et la science-fiction. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1986, Le Passeur, p. 35-38.
Références
- Dufour, Geneviève et Audet, René, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 657-659.
- Vonarburg, Élisabeth, Solaris 69, p. 14.