Résumé/Sommaire
Willow Mary donne naissance à une enfant qui, outre sa blondeur et son extraordinaire beauté, présente une malformation originale : à la place du gros orteil gauche, elle arbore l’exacte réplique de son sexe. Encore au berceau, la pouponne découvre les possibilités de plaisir que lui procure son infirmité au grand dam de sa mère qui la croit possédée du démon mais au ravissement de son père qui, féru de culture grecque ancienne, la prénomme Sappho. Quand la petite atteint cinq ans, sa mère la kidnappe, l’emmène au loin et change leurs noms pour brouiller les pistes. Toutefois, malgré les mises en garde de sa maman, l’enfant ne tarde pas à dévoiler son secret à d’autres marmots et à s’adonner à divers jeux sexuels avec eux.
Plusieurs années et quelques déménagements plus tard, Willow Mary décède, laissant à sa progéniture damnée une lettre qui lui révèle son origine et son vrai nom. Désargentée, et orpheline puisque son père s’est suicidé peu de temps après la disparition de sa femme et de sa fille, Sappho se réfugie chez la seule parenté qu’elle a pu retracer, la tante Salomé qui gère une maison close, La porte des anges. La tenancière réserve un accueil chaleureux à sa nièce et décide d’en faire l’attraction principale de son établissement.
Après avoir été initiée à la vie de la maison, Sappho tombe en amour avec Julien, son premier client et celui qui la déflore lors d’une cérémonie orgiaque. En son âme, l’amour et le plaisir vont alors s’affronter. Un conflit larvé s’engage ensuite entre Salomé et Julien afin de s’accaparer les ressources de Sappho. Tandis que la tenancière recourt à des rituels de sorcellerie, les amoureux élaborent des scénarios d’évasion. India, une collègue amoureuse de Sappho, exécute un plan de fuite à trois. Mais Julien y laisse sa peau alors que Sappho survit, ranimée par la magie d’India.
Celle-ci reprend le bordel que Salomé et ses filles ont abandonné pour en faire un sanctuaire, la Chapelle de la morte, où la réanimée désormais amnésique pourra pratiquer son art exclusivement au bénéfice des femmes.
Commentaires
Anne Claire signe ici un récit bien structuré, bien narré, à l’écriture compétente et enlevée. Le sujet est ramassé, traité uniment, sans digression, en maintenant l’attention constante sur le fil ténu de l’intrigue. On soupçonne une auteure professionnelle qui travaille sous pseudo. Et de fait, le DALIAF nous apprend qu’Anne Claire s’appelle en réalité Nancy Vickers, une Franco-Ontarienne qui a publié une douzaine d’ouvrages ; Le Pied de Sappho lui a d’ailleurs valu le prix Trillium 1997 – volet francophone, la plus haute distinction littéraire remise par le gouvernement de l’Ontario.
Le livre porte fort justement son sous-titre (Conte érotique) en ce qu’il s’agit bel et bien d’un conte, et que l’érotisme, très présent, n’y verse pas dans la pornographie. Le récit, campé dans les débuts du vingtième siècle, ne sert pas des objectifs idéologiques comme ceux du féminisme ; il fournit plutôt le prétexte à divers épisodes propres à exciter les sens. En la quasi-absence de suspense, l’auteure présume que le lecteur poursuivra sa lecture jusqu’à la fin parce qu’il veut connaître les prochains ébats, les nouveaux raffinements dans l’art d’aimer qu’elle lui soumettra. Le prix à payer d’un tel parti pris, c’est que le dilemme vécu par Sappho, qui s’exprime à travers les diverses expériences et mises en scène avec un nombre variable de partenaires des deux sexes, traîne en longueur. Ce qui fait ressortir la psychologie assez élémentaire des personnages.
La finale abracadabrante contraste avec la linéarité de l’intrigue même s’il faut convenir, encore une fois, qu’on a affaire à un conte plutôt qu’à un roman réaliste : la sorcellerie et la magie évoquées en toute fin de récit apparaîtraient en effet comme un deus ex machina dans un autre contexte. Ces éléments souffrent d’ailleurs un peu de simplisme. Il faut cependant accepter que le texte se dérobe à ce qui pourrait nuire à sa fonction fondamentale, l’excitation érotique ; pas question de faire peur ni de provoquer toute émotion qui éluderait l’idée du plaisir sexuel.
Nonobstant la minceur et le flou de la dimension fantastique, Le Pied de Sappho peut se réclamer sans aucun complexe des littératures de l’imaginaire grâce à son exploitation rationnelle et efficace du thème proprement SF du monstre. Enfin, dernier détail, relevons une liberté que l’auteure prend avec l’histoire de la poétesse grecque Sappho : le conte la représente blonde, très jolie, avec un corps de déesse alors que les chroniqueurs de l’époque et les historiens affirment plutôt qu’elle avait un physique ingrat et les cheveux foncés. [RG]
- Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 60-62.