À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Richard confie l’éducation de ses trois filles de 12 ans à une école privée de renom. Un Pierrot, grande poupée-robot aux allures plutôt sympathiques, a la responsabilité des adolescentes qu’il doit préparer à la (sur)vie adulte. Pierrot doit leur apprendre à travailler, à combattre et à se défendre. Car une violence absurde sévit dans la ville. Plusieurs factions historico-politiques se livrent bataille. Et l’emploi se fait rare. Malheureusement, aucune des filles ne réussira à survivre bien longtemps en société. Et il revient à Pierrot d’annoncer à Richard la triste nouvelle. La poupée surveille de très près la réaction de l’homme. La stratégie était-elle cette fois la bonne ? Pierrot arrivera-t-il enfin à guérir Richard ?
Autres parutions
Commentaires
« Le Pierrot diffracté » est un texte long, difficile, fascinant, brillant. Dès la première scène, le lecteur est projeté dans un monde surréel en compagnie de personnages pour le moins singuliers. Nous sommes à la fin des vacances. Trois filles de douze ans, insouciantes, se rendent à l’école avec leur père et leur tuteur (poupée Pierrot), à bord d’une auto prénommée Marlène (c’est un personnage en soi). La ville se découpe en zones territoriales que des factions se disputent sans cesse. Les frontières changent si souvent, à l’image des groupes politiques dirigés par des Reagan, Catherine de Russie, Caracalla…, que nos passagers se voient dans l’obligation d’emprunter un chemin différent, de quitter la voiture protectrice pour marcher jusqu’à destination, malgré les risques d’attaque.
La première partie de la nouvelle rend bien compte du chaos qui règne dans cette société du XXIe siècle. La seconde partie se déroule à l’intérieur des murs de l’école : elle met en scène Armelline, Lilith, Marahrid et le Pierrot, lors de diverses séances d’éducation. Les jeunes filles doivent apprendre à haïr, à attaquer, à raisonner, à se méfier. Hormis les exercices d’adresse, Pierrot propose des exercices de raisonnement : le doublepenser, le doubledire, les discussions sur les rapports entre réalité/apparence, et puis quelques jeux d’abstraction. Chose certaine, le lecteur apprendra que la réalité n’est pas toujours celle qu’il croit, celle qu’il voit. Tout comme Richard qui, dans le bureau d’un responsable de l’École, lors d’une panne d’électricité, reconnaît à travers la transparence des murs, la réplication du personnage devant lequel il se trouve… Ou comme les jeunes filles… Armelline « ne veut pas savoir pourquoi elle ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine sympathie, voire de la compassion pour le Pierrot, malgré toutes ses méchancetés. Elle ne veut pas apprendre qu’elle est une poupée elle aussi. »
Aucune règle ne semble circonscrire ici la réalité. Les auteurs Yves Meynard et Jean-Louis Trudel, tous deux de formation scientifique, prennent manifestement plaisir à diffracter l’image même de la réalité, de la fiction. Alors comment arriver à distinguer le vrai du faux ?
En dernière partie, tout bascule à nouveau. Le Pierrot se révèle être le thérapeute de Richard. La création des trois adolescentes – des pseudo-personnalités – faisait partie d’une stratégie complexe conçue par la poupée pour pousser Richard au-delà de lui-même.
Réalité virtuelle, clones, jeu, mensonge… Qui nous ramènent aux univers dickiens : un monde se construit autour d’un personnage… Même Marlène, cette auto aux accoudoirs de chair tiède, aux sièges de similipeau, au ronronnement rassurant, aux parfums calmants, aura sans doute été conçue pour materner le patient. Mais la guerre et la violence étaient-elles alors bien réelles ?
La réalité ment. Jusqu’au vertige. Les règles bougent sans cesse. Les références tombent les unes après les autres. Et c’est ce qui fascine dans ce texte. Il faut rester en alerte, ne jamais se laisser « enfermer par des règles qui n’existent pas ». « Le Pierrot diffracté » est un texte magnifique, unique. Il sait conserver une part de mystère, d’irrésolu. Une petite part d’ombre. Au fait, quelle est la véritable identité du Pierrot ? [RP]
- Source : L'ASFFQ 1992, Alire, p. 132-133.