À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Pour se défaire du deuil de son mari, Catherine emménage dans un nouvel appartement avec Philippe, leur fils de dix ans. Lors de leur visite, sans qu’elle ne se rende compte de rien, l’enfant a aperçu au fond d’un placard un trou noir qui le fascine depuis ce temps et qui excite son imagination. Il s’est senti attiré par une présence mystérieuse tapie quelque part dans cette noirceur. Leur unique voisine, madame Bouchard, également propriétaire de l’immeuble, occupe le rez-de-chaussée. Quant au logement au-dessus du leur, il reste inhabité. Mme Bouchard fournit d’ailleurs des réponses évasives aux questions posées sur le sujet.
L’imagination dopée aux bandes dessinées et aux magazines d’horreur, Philippe aura bientôt confirmation de ses pires appréhensions. Apeuré mais aussi intrigué, il se laisse posséder par une créature de cauchemar, sauvage et rusée. Plus il se rapproche d’elle, dans ses rêves en particulier, plus le nombre et la gravité de phénomènes inexpliqués augmentent. Par exemple, en revenant des courses, peu de temps après avoir emménagé, Catherine découvre que le frigo a été saccagé, des contenants défoncés, leur contenu répandu, de la viande disparue – qu’elle va dénicher quelques jours plus tard en train de pourrir au fond du placard.
Une autre fois, au retour d’un séjour chez tante Claire, la sœur de Catherine, il ne subsiste que quelques plumes dans les restes de la cage d’oiseau démolie ; quant au poisson rouge, il a disparu, son bocal s’est renversé. La chatte Salem, un peu blessée et terrifiée, s’est réfugiée sous le lit de Philippe, d’où il aura peine à la sortir. Le monstre commet son dernier méfait en faisant littéralement mourir de peur la vieille Mme Bouchard. Dès lors, l’enfant doit accepter d’affronter la créature qu’il a inconsciemment invoquée. Il est le seul à pouvoir lui infliger la défaite parce qu’il est le seul à devoir s’en affranchir.
Commentaires
Denis Vaillancourt expose très vite les règles du jeu : il parlera ici des peurs, des fantasmes et des pouvoirs mystérieux de l’enfance. Il réunit donc quelques ingrédients à l’efficacité avérée : une mère emmurée dans le deuil, un enfant frêle et renfermé, grand amateur de BD d’horreur par-dessus le marché, un déménagement dans un chez-soi nouveau, mais hanté. Voilà d’ailleurs une hantise bien singulière que celle de ce monstre caché dans un placard. Quoiqu’il s’agisse d’une peur primaire au fond, enfantine, fondamentale même, tant qu’on vit dans un monde avec placards. Comme si l’enfance, guidée par le discours des adultes, situait dans ces sombres réduits la part d’elle-même qu’elle essaie d’occulter en la jetant aux oubliettes. Mais avec le destin, pas question de se défiler, chacun doit affronter ses démons et trouver au fond de soi la force ou la manière de les vaincre. L’auteur véhicule ces concepts avec aisance parce qu’il accorde beaucoup d’importance à la dimension psychologique : il campe des personnages plutôt crédibles tandis que le récit s’alimente à même les relations interpersonnelles. Il assemble ses matériaux à la manière d’un dramaturge plutôt que d’un romancier : le récit est découpé en scènes et en actes, peu de décors, pas d’effets extravagants, deux lieux principaux, quatre personnages plus deux ou trois enfants figurants. Ça se joue donc sur un registre limité, qui s’appuie sur une intrigue simple, voire élémentaire.
La lecture du roman laisse cependant une impression mitigée. On pense d’abord que le récit souffre d’un déficit d’intrigue dans un genre où règnent le suspense et la tension extrêmes. Ici, il y a peu de moments forts ou excitants. Le lecteur ne se sent pas tenu de dévorer les deux cents pages du bouquin avant de céder au sommeil. Déficit d’intrigue, vraiment ? Il s’agirait peut-être plutôt d’une mise à plat de l’intrigue, involontaire probablement, mais non moins efficace, au moyen de l’écriture – j’y reviens plus bas.
Le Placard possède tous les traits d’une histoire d’horreur classique. Sauf qu’on n’y rencontre jamais d’horreur. Vaillancourt préfère consacrer de longs passages à une explication psychologique de l’apparition et de la résorption du phénomène d’horreur. Il se garde toutefois, mettons-le à son crédit, d’expliquer le phénomène lui-même. En fait, ce qui désamorce le suspense, c’est que les rebondissements sont télégraphiés, les péripéties soulignées au marqueur. Pas le moindre recoin inexploré où l’imagination du lecteur puisse empiler les pires abominations, pas de surprise qui laisse pantelant. Après l’événement, l’auteur s’attarde encore à justifier de long en large ce qui s’est passé. Mais est-il bien nécessaire de tout expliquer ? Surtout quand on fait dans l’horreur. Et puis, le lecteur finit par ressentir un malaise : il n’a plus rien à deviner, plus rien à inventer, son imagination ne peut plus enrichir ni appuyer la narration, il en vient à se sentir inutile…
Retour à l’écriture : c’est elle qui, dans Le Placard, aplanit les aspérités de l’intrigue et qui relâche la tension. Drôle d’écriture que celle de Vaillancourt : fluide, elle paraît souvent facile, quelquefois bavarde, mais pas toujours soignée, parfois alourdie d’une maladresse ou d’une répétition. Le vrai hic, c’est que dans la quasi-totalité du récit, elle demeure étrangère à ce qui se passe, elle ne participe pas à l’action. Tout est débité uniment, raconté avec le même type de phrases, les mêmes tournures, comme une voix qui rapporterait des histoires d’horreur ou qui lirait des nouvelles d’un même ton monocorde. Autant l’écriture fait souvent preuve d’aisance, autant il lui arrive de sentir un peu le dur labeur. Elle ne manque pas d’enthousiasme – au contraire, elle en a à revendre –, mais de passion. À moins que ce ne soit d’expérience. Ce mélange d’enthousiasme, d’aisance avec des lacunes et des défauts apparents donne l’impression que le texte est resté très proche d’un premier jet, peu ou pas retravaillé. Il aurait pourtant mérité de l’être.
Au final, si l’intrigue ne constitue pas une force de ce texte, ni l’écriture, reste-t-il encore quelque chose ? Oui malgré tout, et il en reste même pas mal. Denis Vaillancourt parvient à garder l’intérêt du lecteur, mieux, à le stimuler, sans miser sur une forte tension pour raconter son histoire. Aussi, il démontre d’autres belles qualités de conteur : en plus de bien organiser les éléments à sa disposition (événements, personnages, situations), il élabore une mise en scène vivante et dynamique. Il peut enfin compter sur une imagination fertile, qui ne le laisse pas en plan et qui lui fournit autant d’idées ou de solutions que nécessaire. [RG]
- Source : L'ASFFQ 2000, Alire, p. 183-185.
Références
- Beaulieu, René, Solaris 141, p. 131.
- Fournier, Isabelle, Québec français 123, p. 26-27.
- Larouche, Réjeanne, Nuit blanche 81, p. 40.
- Péan, Stanley, La Presse, 10-09-2000, p. B2.