À propos de cette édition

Éditeur
BQ
Genre
Science-fiction
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Anthologie de la science-fiction québécoise contemporaine
Pagination
91-100
Lieu
Montréal
Année de parution
1988
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Leïla ne peut plus supporter la lâcheté de son mari face à l’injustice sociale. Quand elle apprend qu’elle est enceinte de lui, elle préfère se suicider. Mais le prélèvement d’une cellule fait sur la jeune femme par un médecin permet de reconstituer une nouvelle Leïla. Celle-ci a oublié son ressentiment envers son mari mais une photo de la place du Régime semble réveiller chez elle un mauvais souvenir

Première parution

Place des miroirs (La) 1986

Commentaires

Avec « La Place des miroirs », Bertrand Bergeron offre une nouvelle dense et ciselée avec art. Le lecteur est d’emblée emporté par l’écriture vibrante et allusive d’une fiction élaborée sur une situation de crise et de silences. En effet, le texte épouse la forme d’une confidence du narrateur à son ami David, interlocuteur auquel s’identifie graduellement le lecteur. Il combine habilement l’utilisation des deuxième et troisième personnes, emprunte le rythme heurté d’un discours oral. La qualité et la beauté de la nouvelle résident d’ailleurs essentiellement dans ce travail formel. Le style s’unit étroitement à la mouvance de la situation émotive vécue par le narrateur, au poids du non-dit, et ce, à travers des phrases aux ruptures révélatrices des réalités affective et sociale.

De ces allusions fondatrices émerge un paysage social pertinent. La place du Régime, près du Musée des Arts idéologiques, révèle l’assise totalitaire d’une société qui place inévitablement ses citoyens devant des questions d’éthique, personnelle et collective. Face à un gouvernement qui a aboli les élections, grâce à un pouvoir accru par le biais du clonage, que peut faire la collectivité ? Le choix de Leïla de participer à la manifestation apparaît légitime, de même que le rejet de son partenaire : l’engagement affectif va de pair avec l’engagement politique. Tandis que Leïla lit dans le non-dit social l’abolition du respect de la collectivité, son mari l’évacue pour se centrer sur son intérêt personnel. Plus qu’une simple toile de fond, l’ébauche de la réalité sociale trahit la personnalité même du narrateur qui voudrait effacer les événements de la place des miroirs. L’esquisse science-fictionnelle, discrète, sert donc à rehausser les ressorts affectifs.

L’attitude politique du narrateur conditionne ses choix éthiques. Il soutient implicitement l’utilisation politique du clonage en acceptant celui de sa femme, c’est-à-dire en brimant le choix d’autrui au profit d’un bonheur personnel. Il en paiera lourdement le prix. La situation de crise est provoquée par un équilibre précaire : l’oubli de sa faute d’éthique, de l’accident, la disparition de ses maux de ventre qui somatisent autant sa culpabilité que la grossesse de Leïla et son suicide par absorption de liquides toxiques.

Les phrases lacunaires ancrent dès lors stylistiquement la fiction. La structure temporelle à rebours complète la pertinence scripturale : David reconstitue peu à peu l’évolution de cette crise sans issue, comble les lacunes. Celles-ci agissent comme caisses de résonance. Elles soulignent le désir de bonheur, la crainte de l’abandon, le désespoir devant une situation irrémédiable. Des vides pleins, éloquents.

Cette nouvelle subtile et sensible soulève des questions fondamentales sur l’engagement. « La Place des miroirs » souligne surtout le talent de son auteur, son intelligence du verbe et de l’homme. [SB]

  • Source : L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 29-30.