À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Plus de trente ans après les faits, un homme raconte sa version de la tragédie qui a éprouvé les habitants d’un village perdu, justement nommé Lost, loin dans le Nord en 1948. Léopaul Ferrand, un ingénieur de vingt-six ans que tout le monde appelle Léo, travaille depuis un an pour la compagnie minière qui, seule pourvoyeuse d’emplois, fait vivre la place. Il lance son récit au moment où il va accueillir la nouvelle famille de l’oncle William à la gare : celui-ci, veuf depuis un moment, revient de Québec où il est allé prendre femme. La désormais tante Louise l’accompagne, veuve elle aussi et mère de deux filles, Marie Elleine et Christine, dix-huit et quatorze ans.
Léo se trouve des affinités avec l’aînée Marie Elleine, tandis que la cadette Christine, une blonde d’« une beauté saisissante » avec de « grands yeux d’une rare couleur, presque violets », ne rate pas une occasion d’étaler son ennui et ses caprices. Jusqu’à ce qu’elle trouve un grand intérêt dans les enseignements de la servante du curé. Verna Moulidal, voyante et cartomancienne entre autres, et servante d’un serviteur du Seigneur en particulier, entreprend d’initier Christine à l’hypnose. Exceptionnellement douée, celle-ci enregistre très vite des progrès étonnants. Puis un soir, elle est agressée et violée par un petit groupe de voyous, avant d’être tuée accidentellement par l’un d’entre eux.
L’enquête du directeur du personnel de la mine donne de bons résultats ; les quatre voyous sont arrêtés. Après consultation et délibérations, la communauté fait consensus pour séparer la bande de délinquants et pour les encadrer strictement plutôt que de les livrer à la police. Mais dès lors, une succession d’assassinats barbares va s’amorcer. Cette fois, pas le choix, on appelle la Police provinciale, la PP. Quelques macchabées plus tard, l’inspecteur Raymond Belhumeur croit avoir trouvé un coupable, il l’emmène en ville et l’emprisonne. La série noire se poursuit cependant avec d’autres victimes. On découvre d’autres coupables, ce qui n’empêche pas la répétition du même scénario, des traces de vampirisme, les victimes vidées de leur sang, parfois désarticulées.
Le comportement des quelques détenus suggère qu’il s’agit de cas de possession. Que les meurtriers ne sont pas conscients de ce qu’ils font et qu’ils sont animés par une force qui les dépasse totalement. Léo surprend, par hasard, sa fiancée Marie Elleine en train d’hypnotiser un villageois et de le transformer en assassin. Mais Marie Elleine agit-elle seule ? Et d’ailleurs, s’agit-il bien d’elle ? Deux visions de la réalité vont alors s’opposer, celle d’un psychologue venu de la ville pour l’occasion et celle de Verna Moulidal. Lors d’une tentative d’hypnotiser Marie Elleine, le psy se fait posséder, Léo doit intervenir pour le sortir du pétrin. Le lendemain, la servante du curé obtient des résultats bien plus satisfaisants en pratiquant une séance de « dépossession » au cours de laquelle elle ferme la porte – d’où le titre – au fantôme de Christine et à ses démons alliés dans l’esprit de Marie Elleine. Et quoi qu’on puisse en penser, la série de meurtres va s’arrêter là.
Commentaires
J’ai l’air de déflorer l’intrigue en dévoilant le dénouement, comme ça, sans aucune retenue, mais le roman est écrit de la même manière. L’auteur s’applique en effet à forcer l’attention plutôt qu’à construire la tension. Dans cette espèce de récit policier mâtiné de fantastique, le suspense s’est fait la malle : le narrateur nous décrit les événements par le menu et de manière linéaire. Ses explications, instructives et pertinentes certes, finissent par engourdir le lecteur, par le subjuguer. Plus besoin d’épisodes à haut niveau de tension.
Il faut dire que Léo, le narrateur, a presque soixante ans, qu’il a un peu perdu l’impétuosité de la jeunesse et qu’il dépoussière ses souvenirs. Il ne réagit donc pas à chaud. Il raconte ce qui s’est passé comme s’il écrivait des mémoires ou un journal avec quelques décennies de recul. D’ailleurs, la plupart des chapitres et sections débutent avec la mention du jour, de l’heure ou du moment de la journée. Ces ancrages temporels dictent le tempo du récit et posent des balises d’une stricte linéarité. Difficile de recommander pareil procédé à qui veut écrire un thriller.
L’auteur disposait pourtant de tous les ingrédients nécessaires : il y a un combat entre le Bien et le Mal – oui, oui, avec des majuscules –, des cas de possession, des meurtres sanguinolents à souhait, des tas de victimes et presque autant de coupables, un environnement et un décor insolites dont Lovecraft ou Stephen King aurait fait suinter la terreur, des personnages mystérieux avec de lourds passés. Ce ne sont donc pas le sujet ni les thèmes qui donnent son caractère au roman, mais bien le traitement.
Autant qu’un thriller, on aurait pu tenir un polar. N’y a-t-il pas une authentique enquête et un inspecteur de police typique ? Or, c’est Léo qui raconte, avec toute sa subjectivité et l’intime connaissance de la plupart des événements, c’est Léo qui se permet de faire état de l’échec relatif des démarches et du point de vue des policiers. Du coup, le personnage de l’inspecteur de la PP doit se contenter d’un rôle secondaire. Il semble bien que Godard ait plutôt fait le pari d’une narration chronologique bien ficelée qui ferait apparaître le suspense de soi, déclenché par la seule curiosité du lecteur. Et même s’il gagne son pari, il n’emporte pas toute la mise : son bouquin, on le lit jusqu’au bout, et avec intérêt, mais pas vraiment pour l’intrigue.
L’auteur pratique une écriture classique, terre-à-terre, précise, probablement inspirée de la meilleure tradition réaliste française, Zola, Balzac et d’autres de la même eau. Son ingénieur narrateur propose un récit informé, fluide, livré dans une langue soignée, avec un vocabulaire juste. Il organise bien ses idées, il construit des phrases toujours complètes et correctes. Cette remarquable rectitude comporte cependant des inconvénients : les dialogues, par exemple, souffrent de ce « parler pointu » et de ces passés simples. Le lecteur moyen apprécie un peu plus de décontraction. On lui en a tellement mis plein la vue qu’une écriture lisse et invisible passe facilement pour du journalisme. On aimerait plus de substance dans les personnages, plus de naturel dans les dialogues, plus de fantaisie dans le reste. Globalement, l’écriture de Godard manque de folie, elle croise trop dans des eaux calmes. On aimerait qu’elle coure l’aventure, qu’elle vive des tempêtes, on aimerait que ça dérive.
Par ailleurs, malgré une bonne idée de départ, malgré une construction solide et cohérente, le récit échappe de justesse à l’unidimensionnel grâce à l’histoire d’amour entre les deux principaux protagonistes, Léo et Marie Elleine, et à la double lecture qu’on peut faire des événements rapportés. Le roman comporte en effet, en plus de sa lecture fantastique, une lecture psychologique tout à fait pertinente. Il se classe dans le fantastique parce que le narrateur privilégie cette position. L’auteur, lui, installe un doute dans l’esprit du lecteur avant de lui offrir de choisir l’explication qui lui convient le mieux.
En somme, il s’agit d’un roman pour ceux qui n’aiment pas faire des cauchemars après avoir lu une histoire d’horreur, mais qui veulent quand même en connaître tous les détails. [RG]
- Source : L'ASFFQ 1993, Alire, p. 90-92.
Références
- Bélil, Michel, imagine… 69, p. 87-88.
- Dupuis, Simon, Solaris 108, p. 36-37.
- Perron, Gilles, Québec français 92, p. 17.
- Vennat, Pierre, La Presse, 05-09-1993, p. B 5.