À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
À la suite d’un vol de document au siège du parti chronophobe, Igor, membre du parti chronomane, est cité à son procès. La juge Lada constate rapidement que le procès dépasse le simple fait divers et revêt une dimension politique en opposant deux conceptions du temps. L’affaire se corse quand il apparaît que le commissaire d’État, partisan du parti chronophile au pouvoir, a joué un rôle dans le vol du document.
Commentaires
Parce qu’il s’apparente à une scène de théâtre avec son décorum et son sens du rituel, le tribunal, ce lieu de l’administration de la justice, a inspiré plusieurs cinéastes. Un bon nombre de films, dont plusieurs très célèbres – qu’on pense à Douze hommes en colère de Sidney Lumet –, reposent en effet sur la reconstitution d’un procès. Le genre plaît toujours parce qu’il exige un récit dynamique.
La forme du procès convient parfaitement au discours narratif de Jean-François Somcynsky parce qu’elle permet à l’auteur de développer deux argumentations diamétralement opposées. On sait qu’il affectionne particulièrement les prises de position tranchées qui ont le mérite de poser les deux termes du problème. À cet égard, l’œuvre de Somcynksy est souvent le théâtre de l’antagonisme pur. Le danger, c’est de tomber dans l’excès de démonstration.
Igor, porte-parole du parti chronomane, et Andine, déléguée du parti chronophobe, représentent deux conceptions opposées du Temps et de l’Histoire. Somcynsky aime bien faire de ses personnages des porte-étendard d’une idéologie ou d’une philosophie. Les chronophobes défendent la pensée mythique qui situe l’Âge d’or dans un lointain passé dont l’avenir les éloigne irrémédiablement. Les chronomanes mettent leur foi dans la pensée utopique “néo-technicienne” et considèrent l’avenir comme porteur d’espoir.
Toutefois, ces deux conceptions se rejoignent – et à la fin du procès, leurs positions apparaîtront identiques – puisqu’elles envisagent toutes deux le temps comme étant linéaire et irréversible. C’est pourquoi l’auteur fait intervenir à mi-chemin de la nouvelle une troisième force en la personne de Dirio. Le parti chronophile, dont il est un des hauts fonctionnaires, semble proposer une solution de compromis et adopter une position mitoyenne mais en fait, il représente l’autre proposition du débat idéologique puisqu’il défend la théorie du temps cyclique.
La fin du « Procès Chronos » m’a déçu. Somcynsky conclut sa nouvelle par une pirouette en disant que, finalement, les positions qui paraissent aux antipodes l’une de l’autre ne sont pas irréconciliables et que tout le monde a raison, tout dépendant du point de vue où l’on se place. Voilà une prise de position inattendue teintée d’un certain cynisme : Somcynsky ne croit pas que l’Histoire ait un sens (« Elle n’a ni queue ni tête ni direction véritable. C’est une bouillabaisse d’événements. ») et il renvoie dos à dos les différentes théories.
Enfin, la narration semble avoir été conçue comme une pièce de théâtre ou un scénario de film. Elle est désespérément sèche : aucune description de personnages ou du décor ne vient donner un peu de consistance humaine à cet affrontement idéologique. Je me demande aussi quel est l’intérêt de mentionner que le procès Chronos a lieu à Montréal puisqu’il n’y a aucune scène extérieure. Cette précision arrive inopinément dans le texte, sans nécessité dramatique. Il aurait mieux valu ne pas identifier la ville.
Il y a des écrivains qui posent des questions mais qui se gardent bien d’y répondre. Jean-François Somcynsky n’est pas de ceux-là mais on aimerait parfois que ses réponses soient moins simplistes. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 163-164.