À propos de cette édition

Langue
Français
Éditeur
Solaris
Genre
Science-fiction
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Solaris 101
Pagination
51-58
Lieu
Hull
Année de parution
1992
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Tout a débuté par une idée, surgie d’on ne sait où. Dans une société fondée sur le loisir, dix milliards d’individus se voient branchés à un mégaréseau informatique. Ils participent au Projet, en cours depuis le XXe siècle. Il s’agit de rédiger des paragraphes de 600 signes, grammaticalement parfaits, qui iront instantanément rejoindre d’autres participants. Le Projet s’élabore avec le temps, selon les idées-paragraphes en circulation. Les siècles passent. Le Projet réussit à survivre malgré les tentatives de le faire échouer. Il semble impossible de s’en défaire. Au XXIIIe siècle, des groupes décident de retourner au XXe siècle pour éliminer l’instigateur du Projet. Mais le Projet n’est qu’une histoire racontée à partir d’une idée surgie d’on ne sait où…

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Commentaires

Je me souviens du premier texte d’Harold Côté (« Sens dessus dessous »), de l’audace du verbe, de la qualité de l’expérimentation qui lui avait valu le Prix Solaris 1990. Dans « Le Projet », le processus même de l’écriture (élaboration de la fiction narrative/élaboration de la pensée) se voit habilement interrogé, dans un contexte science-fictionnel. Dès le début, l’auteur cherche à entretenir une légère confusion dans le JE utilisé : l’auteur de la nouvelle intitulée « Le Projet » semble vouloir se superposer à l’auteur du projet imaginé dans le récit. C’est que la fiction naît ici du projet d’une fiction.

Après avoir expliqué la nature du projet et ses principes d’application avec force détails, le narrateur amène le lecteur à admettre que l’exploration de la pensée par le langage est sans limites, malgré les contraintes fort restrictives ici retenues (les idées s’énoncent en paragraphes d’environ 600 signes). Puis le Projet prendra progressivement forme sous nos yeux.

De la même manière que la pensée s’organise en tenant compte d’un contexte et de l’articulation d’idées entre elles, le lecteur développera sa compréhension du Projet à mesure que les paragraphes-idées pourront être liés entre eux. La pensée s’élargit alors jusqu’à reconnaître la transparence de la fiction. Car Harold Côté tient à montrer l’interaction continue entre fond et forme, entre réalité et fiction.

On revient donc sans cesse à la notion de réalité transgressée par la fiction dans la fiction. Je cherche à tromper le TEMPS par la fiction, mais je me vois inévitablement confrontée à une finalité. La fiction réussit toutefois à tromper la réalité parce qu’elle déjoue les balises temporelles. Je m’accroche alors à des mots imaginés, à des paragraphes-idées qui ont surgi en moi ou chez quelqu’un d’autre, et j’échappe pendant un moment à l’emprise du temps. « Les machines à voyager dans le temps peuvent prendre des formes diverses, et même abstraites, et ne sont en fait que des modificateurs de références spatiales et temporelles. Le sujet déplacé ne l’est pas vraiment, seul son contexte d’interprétation change. Et c’est moins fatigant ainsi. »

Il y a bien, dans la première partie de la nouvelle, ces innombrables calculs mathématiques auxquels a recours Harold Côté pour asseoir les fondements logiques du Projet élaboré, puis quelques petites faiblesses de la langue. Mais le récit est construit avec intelligence et l’exploration est riche (découpage en idées-paragraphes à l’image du projet évoqué ; alternance habile entre les divers paliers de la fiction/écriture ; représentation de la simultanéité de la pensée ; apparition/disparition soudaine de personnages ; changement pertinent de pronom narratif). Fond et forme restent indissociables.

« Le Projet » est un récit exigeant qui traite avec originalité les rapports fragiles entre réalité et fiction. Les mises en abyme sont constantes et donnent lieu à des acrobaties vertigineuses d’ordre philosophique et existentiel. Mais ce que j’aime foncièrement de ce texte, c’est qu’il me fait douter de moi-même. [RP]

  • Source : L'ASFFQ 1992, Alire, p. 62-63.