À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Bohémond d’Izernore et Mahani se retrouvent en pleine nuit, au milieu d’un orage. Ils trouvent refuge dans un hangar. Le matin venu, ils marchent jusqu’en ville. Le greffon informatique de Mahani lui permettra de les situer : ils se trouvent dans une ville nommée Sherbrooke, au Canada, une province de la Boréalie. Cela semble être la seule différence avec l’Histoire que connaît Mahani : un signe de la présence de Kerberos en ces lieux.
À la bibliothèque, la consultation des journaux récents livre un nouvel indice : le musée minéralogique de Thetford Mines expose dans un centre commercial de Sherbrooke une pierre précieuse appelée une « Larme de Dieu ». Qui dit larme dit œil ; et de fait, quand ils se rendent à Thetford Mines, le musée recèle bel et bien l’objet de leur quête. Hélas, Kerberos, qui sous une identité humaine avait déjà par deux fois essayé de les retarder dans leur quête, déjoue l’épée de Bohémond et s’empare de la relique avant de disparaître.
Commentaires
Reconnaissons qu’une histoire à relais, où il est carrément impossible de récrire les contributions des auteurs qui nous ont précédés, constitue un défi de taille. L’obligation de tendre vers un objectif indiqué par Christian Martin, l’instigateur du projet, pouvait ici nuire autant qu’aider. Il faut donc être indulgent pour l’intrigue élaborée par Mario Fecteau, laquelle se devait de respecter des contraintes externes assez poussées.
Cela dit, et même si je reconnais que des chutes de registre sont inévitables dans un tel contexte, je regrette que cet épisode descende au niveau d’un mauvais roman pour jeunes, sinon d’un mauvais épisode d’une médiocre série télé. Kerberos se présente par deux fois sous une apparence humaine, afin de nuire à la quête des deux compagnons ; mais c’est à chaque fois d’une manière faiblarde, en les empêchant d’accéder à une ressource nécessaire (journaux récents, voitures à louer). Les deux héros n’auront pas besoin de contourner l’obstacle, ils pourront le surmonter, comme quand Bohémond demande à une autre préposée de la bibliothèque de lui fournir les journaux qu’il lui faut.
L’auteur traite les pouvoirs des héros d’une façon simpliste, ce qui diminue de beaucoup la tension narrative. Par exemple, Bohémond découvre qu’il sait miraculeusement conduire une voiture, et Mahani se sert de son greffon pour détourner de l’argent à un guichet automatique, sans que cela ne se mérite plus de description. Soit, ce sont des éléments accessoires de l’intrigue, mais cette dernière est de toute façon indigente. Bohémond et Mahani font des recherches à la bibliothèque puis louent une voiture pour se rendre à Thetford Mines et se font damer le pion au musée. Oui, j’ai sauté l’épisode où Bohémond sauve de la noyade deux hommes en chaloupe qui se trouvent être des employés du musée et révèlent que la pierre appelée l’œil-de-Dieu, elle, s’y trouve encore. Cet incident n’était nullement nécessaire ; on se demande si l’auteur croyait le lecteur incapable de supposer que le musée serait la véritable destination des deux héros.
Admettons que ce texte ait visé, consciemment ou pas, des lecteurs naïfs qui ont besoin, comme Bohémond, d’un paragraphe entier de réflexion avant de conclure que trois hommes borgnes d’apparence identique ne sont pas des triplés mais bien une seule et même personne. Reste que cela ne justifie pas un relâchement au niveau de l’écriture, et surtout pas une présentation confuse. Or, tout le début du texte est d’une maladresse balourde. On passe abruptement de l’arrivée dans le hangar au matin suivant, pour immédiatement revenir sur les discussions qui ont précédé le sommeil. Je trouve aussi que beaucoup de mots sont consacrés à des détails secondaires au détriment d’un sens du lieu immédiat. Ainsi, on ne décrit du musée qu’une porte brisée et un coussin de velours sur lequel repose la gemme ; au contraire des scénarios, les nouvelles n’ont pas une équipe attitrée pour monter et filmer les décors dans lesquels elles se déroulent.
Comme troisième épisode d’une série, c’est vraiment décevant. L’imagination de Mario Fecteau manque sérieusement d’ampleur et son intrigue de dynamisme. L’interaction entre les personnages reste embryonnaire, leur situation d’étrangers à ce Québec alternatif de 1994 n’a aucune conséquence, et leur antagoniste, comme un Monsieur Ming de Dollarama, perd son temps à les asticoter avec des obstacles insignifiants. Encore une fois, c’est comme un épisode négligeable d’une série télé, qui doit laisser la situation inchangée à sa fin. Avait-on vraiment besoin de lire ça ? [YM]
- Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 86-87.