Quand le cristal creuse son ombre

Chacun de son côté, une femme et un homme, peut-être anciens amants, prennent le chemin de deux villes qui leur sont inconnues : Vija, cité de cristal et de lumière ; Biya, cité d’ombre et de nuit éternelle. Deux itinéraires parallèlles en des paysages oniriques.

Commenter à nouveau cette remarquable nouvelle me donne l’occasion de rattraper la bévue commise dans les pages du magazine Québec français pour lequel j’avais fait la recension critique de l’anthologie En une ville ouverte réunissant les finalistes du concours de nouvelles organisé par l’Office franco-québécois pour la jeunesse, sur un thème emprunté à Franz Kafka ; comble de l’inattention, j’avais appelé l’auteure Danielle Chouinard. Mes excuses ayant été présentées et acceptées, qu’il me soit permis maintenant d’exprimer le plaisir que j’ai tiré de la lecture (que dis-je ? des lectures) de « Quand le cristal creuse son ombre ».

Plaisir difficile à expliquer, à l’instar d’ailleurs de cette nouvelle, sibylline et allusive qui ne se laisse pas cerner facilement. Comme ces excursions en territoires de l’insolite dont Kafka avait le secret, la nouvelle de Claire Chouinard se défile, évanescente, se dérobe à toute tentative de la résumer, de la circonscrire. Tout un univers nous y est livré, mais par suggestions, de manière impressionniste. On y entre comme dans un rêve éveillé dont le sens ne saurait être appréhendé ; on en ressort, la tête pleine d’images mémorables, en pleine jubilation d’écriture. À ce titre, l’épigraphe dont l’auteur a coiffé son texte est on ne peut plus pertinente : « Le lecteur accède à un texte comme le voyageur pénètre en une ville étrangère : avec lenteur, méfiance et abandon, prêt à suivre les détours, à s’attarder, à revenir sur ses pas. Ses attentes sont vaines, tout ce qu’on a pu lui dire ne lui servira à rien ; il doit se défaire de ses souvenirs, des bagages trop lourds. Ce n’est qu’à ce prix que, s’offrant à la ville, le voyageur saura l’habiter. »

Je vous ai maintenant prévenus. Il ne vous reste plus qu’à vous dénicher au plus vite un exemplaire de la superbe anthologie En une ville ouverte. [SP]

• Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 55.