À propos de cette édition

Éditeur
Du Grand Midi
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
207
Lieu
Zurich (Suisse)
Année de parution
1990

Résumé/Sommaire

Le manuscrit d’une jeune universitaire portant sur la Québécie et son système social révolutionnaire est confié par son père à un éditeur après la mort – possiblement un assassinat – de la jeune fille. Au fil des pages, Marie-Sylvie rend compte de ses recherches en vue de saisir l’esprit de cette société si particulière qu’était la Québécie en évoquant le souvenir de sa grand-mère qui a connu cette époque. Elle se rappelle que celle-ci lui avait montré un exemplaire du Recueil, un des deux ouvrages fondamentaux avec le Rituel, qui contenait les lois encadrant la vie des Québéciens. Depuis la fin de la Québécie à la suite de l’invasion américaine et de l’annexion aux États-Unis des provinces du centre et de l’ouest du Canada, ce livre est devenu très rare, ayant été l’objet d’autodafés.

Le directeur de thèse de Marie-Sylvie, M. Lafleur, tente de la dissuader d’aborder son sujet par l’étude du droit québécien, mais après une période de doute, la jeune femme fait la rencontre d’une universitaire, B., qui lui donne accès à sa bibliothèque personnelle renfermant le Recueil et des essais le commentant ayant échappé à la censure. Petit à petit, Marie-Sylvie a l’impression de découvrir une Québécie qui existe toujours, mais de façon souterraine, en renouant avec son père qui vit en reclus et en solitaire à la campagne, en fréquentant B. qui l’invite à un restaurant où elle lui présente un cercle de partisans de la Québécie.

Pour illustrer les principes de générosité, d’ouverture d’esprit et d’égalité qui caractérisent la société québécienne, elle incorpore dans la deuxième moitié de son manuscrit cinq scènes fictives destinées à rendre plus digestes les réflexions philosophiques que lui inspirent ces valeurs. Cependant, plus elle creuse le sujet, plus les obstacles se multiplient. Il y a d’abord ce virus qui attaque son ordinateur, puis cet accident (vraiment ?) dont est victime B., son mentor, qui aurait pu lui coûter la vie. 

Révoltée par l’acharnement des ennemis de la Québécie à éradiquer dans les esprits la trace des idées « dangereuses » qu’elle a répandues, Marie-Sylvie accepte une mission à la demande de B. sur son lit d’hôpital. Le mystère demeure sur la nature de cette mission et sur la disparition tragique de la jeune universitaire, le manuscrit étant inachevé et publié en l’état, si ce n’est l’ajout de l’avant-propos de l’éditrice et de la préface d’Hubert, le père de Marie-Sylvie.

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Commentaires

La Québécie est une authentique utopie qui revêt la forme d’un roman à thèse à la manière de Pour la patrie de Jules-Paul Tardivel. Cela n’est pas surprenant si l’on considère que le manuscrit qu’on lit est le fruit d’une recherche universitaire sur un système social qui a pratiquement été effacé des mémoires. Si le temps où se situe cette utopie est indéterminé comme c’est souvent le cas pour ce genre de texte (peut-être la fin du XXIe siècle), en revanche le lieu est bien circonscrit : il s’agit du Québec, les événements rapportés étant surtout survenus à Québec. 

Le récit ne comporte aucune innovation technologique qui pourrait nous laisser croire que l’aventure politique de la Québécie se situe dans un futur éloigné. Visiblement, ce n’est pas cet aspect qui intéresse Francine Lachance mais plutôt les valeurs qui soutenaient cette société révolutionnaire avant qu’elle soit envahie par les États-Unis qui jugeaient ses idées dangereuses et contraires au système capitaliste. La recherche de Marie-Sylvie est une quête quasi impossible de retrouver l’esprit qui animait la Québécie. Son approche est avant tout philosophique et sociologique puisqu’elle repose essentiellement sur l’étude de deux ouvrages fondamentaux devenus mythiques : le Recueil et le Rituel.

Brûlé par les nouveaux maîtres, disparu des bibliothèques, le Recueil renferme les principales lois qui régissaient la société québécienne et, à certains égards, il contient des principes qui heurtent les courants de pensée largement répandus et alimentent des débats. La législation et l’éducation constituent les deux principaux éléments par lesquels la société québécienne se distingue des autres sociétés et qui mettent en lumière ses idéaux révolutionnaires. Ainsi, on apprend que les enfants sont la propriété de l’État et que celui-ci peut enlever un enfant à ses parents biologiques s’il juge qu’ils ne disposent pas des conditions matérielles ou des ressources intellectuelles pour pourvoir à son éducation. Il est alors confié à un autre couple plus apte à l’élever. 

Il faut voir aussi comment fonctionne le système d’éducation. Il n’y a pas de programmes contraignants, les étudiants étant libres de suivre les cours qu’ils veulent, quelle que soit la profession qu’ils désirent pratiquer, dans la mesure où ils accumulent un nombre minimal de crédits dans leur discipline. En outre, l’enseignement des professeurs au niveau universitaire est très peu encadré et l’attribution des notes fait intervenir le hasard, une partie de celles-ci reposant sur un coup de dés !

En fait, les multiples exemples tirés de la vie quotidienne des Québéciens visent à illustrer que cette société se définit par l’anarchie, par des lois simples et peu nombreuses que tout citoyen doit connaître et par une place non négligeable laissée au hasard. Les cinq scènes québéciennes recréées par l’auteure ont pour fonction d’incarner concrètement les idéaux ayant nourri la réflexion philosophique de la première moitié du manuscrit et d’injecter une part de romanesque à un texte qui, il faut l’avouer, comporte de nombreux passages arides. Certes, ces réflexions théoriques sont stimulantes pour quiconque accepte de s’y investir totalement mais l’ensemble du projet romanesque manque d’équilibre. 

On sait trop peu de choses sur les personnages de Marie-Sylvie, de son père, de sa mère – la lettre d’amour déchirante sur laquelle tombe Marie-Sylvie dans ses recherches est-elle d’elle ? –, de B., sans parler du couple formé par France et Jacques, simple support pour évoquer les étapes marquantes de l’existence des Québéciens qui s’accompagnent de rites fixés dans le livre canonique le Rituel, notamment la naissance comme citoyen et la mort. C’est par cet ouvrage que l’auteure aborde le sujet de la religion, qui n’en est pas vraiment une. La cérémonie de présentation de l’enfant au soleil vers l’âge d’un an apparaît, dans ce contexte, comme un reliquat de la culture hippie. Par ailleurs, le rapport à la mort est traité franchement, le suicide étant notamment permis et précédé d’une réception au cours de laquelle la personne qui a décidé de mourir reçoit les éloges de ses proches le jour venu. 

La Québécie est une œuvre qui assume pleinement son parti pris utopique et ses excès d'ingénuité. Même si certaines facettes de la société sont très peu exposées, dont le système économique qui assure une allocation de base à tout citoyen, qu’il travaille ou pas, même si l’équilibre entre la théorie et la fiction est loin d’être optimal malgré la volonté d’enrichir le contenu de l’œuvre par un avant-propos et une préface destinés à l’envelopper d’une aura de mystère, La Québécie demeure une lecture essentielle pour quiconque s’intéresse à l’utopie, une contribution majeure au corpus des utopies québécoises. Cette œuvre soulève des questions qui sont toujours aussi pertinentes telles l’aide médicale à mourir, les soins de santé, l’éducation et l’administration de la justice. Comment un tel livre a-t-il pu passer sous le radar au moment de sa parution en 1990 ? Il est vrai qu’il a été publié en Suisse et que Francine Lachance n’a rien écrit d’autre à notre connaissance, mais tout de même… [CJ]

  • Source : Solaris 222, p. 119-122.