À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
La technique de duplication des acteurs – reproduction de la conscience émotive, gardée en mémoire – offre des possibilités que se plaît à explorer le réalisateur David Jordan. Branché à divers appareils d’enregistrement et de simulation, le réalisateur opère directement sur la fiction qui s’inscrit, au fil des séances, sur les cristaux prévus à cet effet. Jordan est vivement impressionné par la performance de la jeune Meryl (il s’agit bien sûr d’une duplication). La mort de la véritable Meryl, survenue en cours d’enregistrement, trouble le réalisateur qui décide de faire enquête. Bouleversé par ce qu’il découvre, Jordan termine le scénario (dans lequel il jouait un rôle principal) de manière inattendue.
Commentaires
Dans « Le Réalisateur », David Jordan est à la fois spectateur, créateur et personnage. Il assiste au déroulement du scénario comme s’il se trouvait derrière l’œil de la caméra (vision externe) ; il contrôle, par une sorte d’osmose technologique, les émotions et les déplacements des personnages, ainsi que les changements de décor et de perspective (vision interne) ; il joue enfin, dans son propre scénario, l’un des rôles principaux (dédoublement du personnage). La double plongée dans la fiction et, surtout, les jeux de perspective déclenchés par l’étrange fusion entre le réalisateur et la duplication de Meryl provoquent un vertige intérieur hallucinant, nullement désagréable.
Yves Meynard aborde ici un des grands thèmes de la science-fiction : l’exploration de la fiction et de paysages intérieurs par le biais d’appareils perfectionnés. L’auteur interroge l’ambiguïté des relations entre le réel et l’imaginaire dans l’acte même de la création (jusqu’à quel point l’auteur est-il maître de la fiction ? n’est-il pas prisonnier de ses personnages ? et comment vit-il ses personnages ?). Les scènes de la vie "réelle" du réalisateur alternent avec les scènes du scénario imaginé. Mais fiction et "réalité" ne sont pas totalement étrangères l’une à l’autre : elles se recoupent, se rejoignent et interfèrent l’une sur l’autre. La fiction servira même de prolongement ou de substitut à la réalité.
Le découpage du texte en courtes séquences rappelle à la fois l’écriture du scénario et celle du journal de bord. Des points d’arrêt – ou sous-titres – ponctuent le déroulement de l’histoire, situent chacune des séquences dans le temps et l’espace, facilitant ainsi la lecture et le décodage de la nouvelle. Car « Le Réalisateur » est une nouvelle difficile, déroutante, mais combien fascinante. [RP]
- Source : L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 137.