À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
David est au chevet de Rachel, dont les forces déclinent de jour en jour, quand celle-ci se lève soudainement et monte au grenier. La jeune femme disparaît sans laisser de traces. Consterné, David se rend au village pour annoncer cette nouvelle. En cours de route, il rencontre une femme mystérieuse qui l’entraîne chez elle et tente de le séduire. David s’enfuit et arrive finalement au village qu’il trouve complètement désert.
Après un détour par le cimetière où il revoit la tombe de son ancienne fiancée, Lucie Prévost, la fille du notaire dont il a loué la maison, il revient au dépanneur. Un homme est étendu sur le plancher et ce cadavre est le sien ! Mais toute cette mise en scène n’est que du cinéma. David s’empare alors d’un camion à remorque. Fuir, n’importe où, mais fuir. Comme il démarre, un homme qui se présente d’abord comme éditeur, puis médecin légiste puis journaliste, se glisse dans le véhicule. David s’en débarrasse au moment où il traverse un pont mais il n’est pas au bout de ses peines.
Après avoir percuté un arbre, il trouve refuge chez un vieil énergumène qui habite à proximité du lac des nu-fesses. David y passe une nuit torride dans les bras de Désir, la jeune femme mystérieuse rencontrée plus tôt. Au réveil, il apprend de son hôte que chacun d’eux fait partie d’un rêve, qu’ils sont tous des personnages prisonniers d’un rôle que leur a assigné un dormeur. Quoi qu’ils fassent, ils n’ont aucune prise sur les événements. Comment David pourrait-il s’évader de ce cauchemar ? Il se rend compte que cette mise en scène prépare lentement la parodie de procès qui l’attend. Rachel et lui sont acccusés d’avoir tué Hortense, sa femme, en la forçant à écouter pendant deux jours et deux nuits la lecture d’œuvres d’écrivains abitibiens…
Commentaires
La publication en feuilleton de Marco Polo ou Le Nouveau Livre des merveilles a constitué en 1985 un événement médiatique international. Ce projet d’écriture interactive réunissait huit écrivains répartis sur trois continents. Six auteurs de l’Abitibi ont décidé de reprendre en partie la formule fixée par Italo Calvino et Umberto Eco et de relever le défi de l’œuvre collective. À tour de rôle, chaque auteur devait poursuivre le récit au point où l’avait laissé son prédécesseur. Il disposait d’une semaine pour écrire son chapitre. Le livre s’est élaboré sur une période de douze semaines, chaque auteur ayant écrit deux chapitres.
Avant d’aborder l’œuvre elle-même, on peut se demander pourquoi parler de roman "collectif" quand chaque chapitre est signé. Il aurait peut-être été plus intéressant qu’on ne sache pas qui a écrit quoi. Mais il semble ici que la notion d’équipe ne fasse pas disparaître les individualités des Claude Boisvert, Denys Chabot, Jean Ferguson, Raymond Godard, Margot Lemire et Daniel St-Germain.
Les trois premiers étant déjà connus pour avoir produit des textes fantastiques, on pouvait légitimement s’attendre à ce que le récit comporte quelques scènes fantastiques. C’est Denys Chabot qui amorce Le Relais abitibien et d’emblée, il imprime au récit une atmosphère fantastique. Le roman ne se départira jamais tout à fait de cette atmosphère, malgré la succession des auteurs, même si le ton variera grandement de l’un à l’autre. Le propos du roman repose sur l’impossibilité de départager le rêve de la réalité, de démêler les fantasmes du réel. Cauchemar absurde ou vraie vie ? Le personnage de David nage en pleine confusion et le lecteur de même.
D’un auteur à l’autre, le récit prend une autre direction, change carrément de ton et de registre. Au premier tour, les auteurs se sont concertés, dirait-on, pour conserver au récit une certaine homogénéité. Au second tour, c’est le feu d’artifice et le bordel. Chacun a oublié le projet collectif et expose ses préoccupations personnelles, revendique son style propre. Les belles résolutions initiales ont été jetées par-dessus bord. Plus le roman progresse, plus il s’en va dans toutes les directions.
D’où vient cette perte de contrôle ? D’abord, au chapitre 6, Boisvert fait basculer le récit en dévoilant que les phénomènes auxquels David est confronté ne sont qu’une mise en scène cinématographique. C’est comme si, à partir de ce moment, chaque auteur s’était dit que tout était maintenant permis et que chacun avait cherché à surenchérir. Dans le chapitre suivant, Denys Chabot introduit une rupture de ton en plaçant l’épisode sous le mode burlesque. Jean Ferguson ne se fera pas prier pour y aller de ses élucubrations sur les papes et sur les dévots de Parme. Bref, l’entreprise sombre graduellement dans la grosse farce et dans la complaisance, comme cette scène de délire au cours de laquelle David éventre des centaines de crapauds.
Malgré tout, il y a des enseignements à tirer de l’expérience tentée par les six écrivains de l’Abitibi. Tout au long du roman, je n’ai pu me défaire de la désagréable impression de répétition d’un chapitre à l’autre. Chaque auteur sent le besoin, au début de son chapitre, de réassumer ce qui précède comme étant sa propre prose. Cette réappropriation fastidieuse à la longue nous vaut de lire deux fois les mêmes expressions ou tournures de phrases. Il n’y a pas de doute que certains auteurs ont eu plus de difficulté que d’autres à s’adapter aux contraintes inhérentes à l’expérience, ce dont Claude Boisvert ne parle pas dans l’avant-propos.
Toutefois, Raymond Godard fait état, dans un court texte de deux pages qui précède sa deuxième prestation (chapitre 11), de ses sentiments et de ses impressions face à cette expérience créatrice. On trouve dans ce témoignage à la fois une critique de l’attitude des participants et une critique de l’œuvre produite. Godard laisse filtrer un peu d’amertume quand il décrit le comportement de ses pairs. « Le Relais abitibien se courait seul ! Au lieu de tendre ingénument au coureur suivant le flambeau, chaque David lui allongeait un croc-en-jambe. […] Chacun rédigeait son chapitre avant son temps, en se gaussant d’autrui, recherchant la palme pour lui-même. » (p. 81-82).
Il ne faut peut-être pas prendre au pied de la lettre les propos de Godard (tiens, comme le cinéaste iconoclaste et dérangeant du cinéma français) et conclure qu’il y a eu de la mesquinerie ou des coups bas. Ce témoignage introduit néanmoins une réflexion critique qui, à bien des égards, m’apparaît plus intéressante que le résultat littéraire de l’expérience d’écriture. J’aurais aimé connaître les impressions des autres écrivains. Ont-ils réussi à s’insérer dans la fiction d’un autre ? Ont-ils tenté de conserver leur style ? Je n’ai pas reconnu l’imaginaire baroque et l’écriture flamboyante de Denys Chabot. En revanche, Jean Ferguson demeure égal à lui-même en adoptant un ton naïvement grandiloquent qui se veut drôle.
Les brefs commentaires de Raymond Godard nous laissent croire qu’il y a là matière plus riche que la fiction elle-même. Cet écrivain pose aussi sur l’œuvre qui s’élabore un regard lucide. « Le Relais abitibien sera ce qu’il est : la tour de Babel ; la tour penchée de Pise ; la tour effondrée de Siloe ; le tour de l’Abitibi cynique. » (p. 82). Godard enfreint les règles de la fiction mais ce n’est pas moi qui lui en ferai le reproche. Il a introduit dans Le Relais abitibien une dimension critique sans laquelle, à mon avis, l’œuvre n’aurait aucune valeur littéraire. Il manque en effet à ce livre un projet (le projet, ici, est essentiellement extérieur au livre, dicté par les conditions de production), un fil conducteur solide qui fasse tenir ensemble ces douze chapitres disparates réunis par le hasard de la création et de l’improvisation.
On pourrait croire que l’échec littéraire de Marco Polo (qui réunissait par ailleurs des auteurs chevronnés et estimables) était imputable au fait que ces écrivains, provenant de cultures différentes, n’ont pas réussi à instaurer un dialogue fructueux par l’intermédiaire de leur imaginaire. Pourtant, les six écrivains qui ont participé à la rédaction du Relais abitibien ont en commun de résider dans la même région et de partager une même culture. Ce ne fut pas suffisant, ce qui prouve que le processus de création est infiniment plus complexe qu’on le pense et qu’on n’a pas fini d’en démonter le mécanisme. C’est là l’enseignement ultime, me semble-t-il, qu’il faut tirer de cette expérience prometteuse au départ mais qui se termine sur une note décevante.
Le livre le plus intéressant qui aurait pu découler de cette expérience n’est pas cette fiction invraisemblable et insipide, intitulée Le Relais abitibien, mais un témoignage franc et direct de chacun des participants sur cette aventure littéraire peu commune, une sorte de journal personnel à six voix dans lequel seraient consignées, pendant douze semaines, les réflexions et les impressions de chacun. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 39-41.
Références
- Cloutier, Georges Henri, Solaris 82, p. 17-18.