À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un Québécois est soumis à un interrogatoire par les forces de l’ordre canadiennes à la suite de son arrestation dans un centre de données secrètes. Accusé à tort d’espionnage pour le compte du Québec devenu indépendant, il est échangé contre un prisonnier politique.
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Commentaires
Dans ma critique de la première nouvelle de SF de Jean-Louis Trudel, critique parue dans l’édition 1984 de L’ASFFQ, j’avais dit de l’auteur qu’il appartenait à la génération des enfants de Reagan. L’auteur n’avait pas tellement apprécié. Néanmoins, une pensée politique se dégageait de cette Œuvre de paix.
Depuis, Trudel s’est tenu éloigné des prises de position politiques. Il y revient ici dans « Report 323 : A Quebecois Infiltration Attempt ». Il s’agit en effet d’une SF politique : le Québec est devenu indépendant et entretient avec le Canada des rapports de méfiance que ce dernier lui rend bien. L’idéologie de l’auteur s’exprime par le personnage principal dont la situation particulière de Franco-Ontarien évoque celle de Trudel. Que vont devenir les minorités francophones hors Québec si le Québec se sépare du Canada ? s’est demandé l’écrivain. Elles vont être rejetées par le Canada et le Québec, prédit-il. Les enfants du personnage principal, qui a déménagé au Québec après l’indépendance, doivent se battre dans la cour d’école parce qu’ils ne parlent pas français avec le bon accent.
Jean-Louis Trudel ne prend pas parti pour un camp ou l’autre. Il dénonce les aberrations de la politique linguistique québécoise (un anglophone est arrêté au Québec parce qu’il a dit hambourgeois au lieu de hamburger !) et la paranoïa dont souffre le Canada (le personnage principal ne cherchait que le nom du propriétaire de la maison de son enfance). Il renvoie plutôt dos à dos ces deux idéologies en faisant l’apologie des individus qui possèdent deux langues, deux cultures. « Toujours les mêmes orthodoxies, les mêmes catégories inviolables. La pureté de la langue fait loi. Les sangs-mêlés, on aime pas, d’un côté ou de l’autre de la frontière, provinciale hier, nationale aujourd’hui. » Dans l’affrontement qui l’oppose à son « tortionnaire », la victime n’a qu’une arme : sa dignité, c’est-à-dire sa langue.
Pour Trudel, ces sangs-mêlés sont les vrais Canadiens parce que la dualité des deux langues constitue la spécificité du Canadien. Le texte joue d’ailleurs de cette dualité en alternant habilement le français et l’anglais. Or, la séparation du Québec a créé deux catégories d’individus : les francophones du Québec et les anglophones du pays voisin. C’est dire que Jean-Louis Trudel prône le métissage des cultures. Sa position diffère grandement de ce que pensait Jacques Ferron qui a beaucoup écrit sur le sujet : « Deux langues complètes ne peuvent pas se compléter et se nuisent quand elles occupent un même territoire. »
Comme le récit est un compte rendu d’un interrogatoire, le texte est plutôt « mou » au plan de la tension dramatique. En outre, l’avant-dernière phrase reste confuse et sibylline. Qui parle ? La conscience du personnage qui a la conviction d’être le « dernier témoin du dernier Canadien » ?
L’intérêt de la nouvelle de Jean-Louis Trudel réside donc davantage dans la pensée politique exprimée par l’auteur que dans la mise en place du récit, fort dépouillée, comme un rapport d’interrogatoire en fait. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 172-173.