Résumé/Sommaire
[4 FA ; 3 HG]
Charley Chaw-Chaw
Aude et Manu-Mashkiki-Nab-Bé
Amour et Guerre le long de la Calouna
Naz et Rosebud ou « Heureusement que… »
Le Ruban de la Louve
Naufrageurs pour l'éternité
Les Cœurs de bœuf
Commentaires
Le recueil d’Alain Gagnon est solidement enraciné dans le terroir de l’auteur. Les sept nouvelles du recueil se déroulent pour la plupart sur les rives du Grand Lac, qui est assez clairement le lac Saint-Jean, et au bord des rivières qui s’y jettent. Elles quadrillent l’histoire du Québec, du XVIIIe siècle à aujourd’hui, et invoquent les mânes amérindiens, en particulier dans les deux premiers textes. Des souvenirs d’enfance se mêlent aux réflexions de l’âge mûr. Ce qui donne, à la fin, un portrait certes fragmentaire mais très réussi de la vie dans ce coin du Québec.
Le fantastique n’en est pas exclu, si ce n’est que pour mieux articuler les peurs et les regrets des personnages, les espoirs et le poids du passé. La première nouvelle donne cependant le ton en choisissant d’entretenir une certaine ambiguïté. Des paroles de la chanson La Manikoutai de Gilles Vigneault sont citées en exergue des chapitres et orientent notre interprétation de la mystérieuse disparition de Charley Chaw-Chaw. Mais l’extraordinaire transformation de Charley, que son ami Brice prend pour un rajeunissement, n’est pas nécessairement surnaturelle puisqu’on n’a jamais su l’âge exact de Charley. Et la naïade qui est sortie des eaux un soir n’était peut-être qu’une riche touriste de passage sur son yacht…
Mais en ouvrant le recueil sur cette note, Gagnon prépare tout bonnement le lecteur à entrer dans un monde où tout est possible. Ainsi, Aude, une jeune biologiste en mal d’emploi, met à la porte une nuit un certain Manu, qui vivait à ses crochets. Elle le regrette vite car elle habite en plein bois et elle croit entendre le jeune homme pousser des cris déchirants au loin. Cependant, malgré les recherches qui sont organisées, pas une trace du jeune homme. Aude seule connaîtra la vérité, car elle retrouvera son ancien ami métamorphosé en arbre…
Là où l’heureuse transformation de Charley Chaw-Chaw semble confirmer la légende de la Manikoutai qui comble de trésors l’homme qu’elle aime, la terrible transformation de Manu diverge de la légende amérindienne du sorcier qui se transforme en arbre volontairement pour être plus proche de la terre-mère, pour que l’Esprit parle par sa bouche… En fait, Gagnon évite de verser dans un fantastique trop prévisible.
Dans la nouvelle « Naufrageurs pour l’éternité », le protagoniste est le témoin accidentel d’une scène de massacre qui se répète depuis des siècles pour tourmenter les descendants d’un criminel. Mais si le personnage principal détourne la malédiction en sauvant une jeune femme du nom de Laure, il choisit ensuite de l’assumer en se débarrassant d’elle lorsqu’il constate que son acte semble avoir bouleversé l’histoire du monde et amené les Nazis à occuper la ville de Québec.
Dans « Le Ruban de la Louve », Gagnon tente également de renouveler un thème bien connu, celui du revenant, du mort qui n’a pas conscience de l’être. Le jour venu, après une nuit troublée par la rencontre d’une jeune femme qui avait perdu la mémoire, le protagoniste se rend compte qu’il a rencontré son âme égarée, qu’il retrouve au sous-sol du salon funéraire.
De fait, l’auteur semble associer le fantastique avec de telles retrouvailles inattendues, voire inespérées. Les autres nouvelles du recueil plongent carrément dans un passé plus ou moins lointain, sans faire intervenir d’incidents fantastiques. Dans « Amour et guerre le long de la Calouna », Gagnon souligne les éléments de la société québécoise d’avant-guerre qui pouvaient porter certains notables à prendre le parti du fascisme. « Naz et Rosebud » est l’histoire d’une confusion amoureuse, où une jolie Anglaise de passage au village joue le plus mauvais rôle. Quant au conte final, « Les Cœurs de bœuf », c’est un peu l’histoire de l’écrivain quand il ne se connaît pas encore. Le jeune Al-la-Fourmi est bien naïf et il se sent décidément très différent de ses amis, mais il finit par découvrir qu’il a tort de s’effrayer pour rien. Il est tentant d’y voir une évocation de la jeunesse de l’auteur lui-même.
L’écriture d’Alain Gagnon tend à louvoyer comme le ruban de la Louve, s’offrant des réminiscences avant de revenir au fil de l’histoire, s’attardant sur l’inquiétude d’une disparition avant de permettre une redécouverte qui est aussi une révélation. Si l’auteur s’inscrit dans une veine très classique, dans ses textes fantastiques comme dans ceux qui ne le sont pas, cela ne gâte rien. Il ne tombe jamais tout à fait dans le mélodrame ou dans la banalité, alors même qu’il les côtoie dans ses intrigues. En somme, l’ouvrage qu’il signe reste d’une facture soignée et d’une lecture agréable de la première à la dernière page. [JLT]
- Source : L'ASFFQ 2000, Alire, p. 70-72.
Références
- Péan, Stanley, La Presse, 28-01-2001, p. B2.