À propos de cette édition

Éditeur
Naaman
Titre et numéro de la collection
Création - 160
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
135
Lieu
Sherbrooke
Année de parution
1985
Support
Papier

Commentaires

Paule Doyon a beaucoup écrit pour les jeunes mais Rue de l'acacia n'est certainement pas un recueil de littérature de jeunesse même si dans deux ou trois nouvelles, on reconnaît le ton propre à ce genre. Je pense à « Dossier Unicorps » qui présente sur un mode humoristique l'enquête sur le terrain menée par une plante dotée d'intelligence et à « La colombe », une utopie dont la structure narrative ressemble à un conte de fées.

Pour le reste, l'auteure aborde des sujets qui ne portent pas tellement à rire et qu'elle traite avec un sérieux un peu compassé. Il est vrai que l'enjeu est de taille – la vie et l'évolution humaines – et que Paule Doyon place très haut ses exigences et ses aspirations. Ce faisant, elle tient un discours très moral qui pourrait tout aussi bien se trouver dans les ouvrages de philosophie et de métaphysique. Qu'est-ce que la vie ? Quelle est la place de l'homme dans la création ? À quel devenir est-il promis ?

Pour l'auteure, il est clair que l'évolution de l'homme est à peine entamée et qu'il a encore beaucoup de chemin à parcourir avant d'atteindre une sagesse qui permettra à son esprit de se dégager de la matière. C'est là en effet l'idéal auquel l'homme doit tendre. C'est donc dire que sa vision de l'homme est traversée par un spiritualisme qu'on retrouve un peu partout dans le recueil, mais surtout dans « Jason et la toison de lumière ».

Les êtres qui vivent dans cette dimension ont atteint un haut degré de conscience et ressemblent à des anges. « Leur matière est presque inexistante. Pourtant, ils existent plus encore ! Leur conscience est si développée qu'elle transparaît à travers chaque grain de leur peau. » Janis, le visiteur de notre époque qui se promène dans cette dimension supérieure, constate la condition barbare de ses contemporains. Jason le sage condamne pour sa part l'homosexualité et le lesbianisme comme impasse à l'évolution humaine. Son credo est plutôt celui-ci : « la conscience totale était l'amour pur ! »

L'auteure n'évite pas le paradoxe sur cette question et sa position est difficile à soutenir comme on peut le voir dans « Le Règne de Kuper ». Nid et Urt sont condamnés à vieillir très rapidement parce qu'ils ont réveillé leurs sentiments et qu'ils s'aiment. Or, « seul l'amour évolué, l'amour de l'humanité entière fait progresser l'homme. Cet amour-ci est physique. […]  Nous savons maintenant que seul l'amour universel touche à l'éternité. »

L'amour universel serait-il incompatible avec l'amour individuel ? Il me semble que l'un ne va pas sans l'autre et que le modèle de société proposé par l'auteure dans cette nouvelle est loin d'être souhaitable même si l'homme a visiblement atteint un autre palier de son évolution en étant capable de prolonger considérablement sa durée de vie. Ce qui m'agace dans ce recueil, c'est la volonté purificatrice de l'auteure et son pressant besoin d'assainissement moral. Normalement, j'aurais trouvé pathétique le drame de la vieille femme, dans « Ben », qui voit sombrer son fils dans l'enfer de la drogue. Mais le discours ambiant produit un tel effet de conditionnement que je ne peux m'empêcher de penser que cette nouvelle est foncièrement fasciste. En tuant le vieux qui a corrompu son fils, la mère de Ben pense le sauver et rendre la rue belle et propre, comme autrefois, avant que les trafiquants ne l'aient envahie.

L'obsession de la moralité publique de l'auteure se manifeste aussi dans « L'Envoûtement ». Paule Doyon associe encore le désordre et les forces obscures et malsaines à « l'homosexualité grandissante dans le monde, aux mariages ouverts, à la sexualité libre. » Certes, ces pensées appartiennent au délire du personnage principal et il s'empresse de les oublier quand il sera guéri mais le message a passé.

Il y a donc dans Rue de l'acacia un projet utopique auquel on peut souscrire parce qu'il en appelle au dépassement – la perfection et l'immatérialité – mais les moyens pour y parvenir sont grandement contestables. L'auteure, à mon avis, n'a pas résolu ses contradictions internes. Ou plutôt, elle rejette carrément la contradiction humaine. Et comment expliquer qu'une prise de conscience de la médiocrité ambiante signifie, dans « Jason et la toison de lumière », que l'être est prêt à gravir une autre marche de son évolution alors que la même prise de conscience conduit Horace Parle vers une régression sans issue ?

Toutes les nouvelles, heureusement, ne sont pas contaminées par cette vision moralisatrice. Certaines, comme « L'Invraisemblable Aventure de John Garret », s'attardent à scruter la vie dans ses moindres manifestations. Ici, l'auteure utilise un verre grossissant pour étudier un micro-organisme (une cellule) dont la composition et l'évolution sont à l'image de nos sociétés. En faisant souvent appel à la biologie moléculaire, Paule Doyon sert à l'homme une leçon d'humilité salutaire.

C'est pourquoi on chercherait en vain dans ce recueil des textes montrant la race humaine à la conquête de l'espace. Elle a déjà fort à faire pour conquérir d'autres niveaux de conscience : on la voit mal partir à l'assaut de l'univers alors qu'elle n'a pas maîtrisé son territoire intérieur. Plus souvent, les humains sont présentés sous un angle ridicule (dans « Dossier Unicorps ») ou encore, leurs inventions, comme la machine à décloisonner le temps (dans « Cat ») ne sont pas encore au point.

Si Rue de l'acacia propose plusieurs réflexions profondes sur l'avenir de l'homme, il n'en demeure pas moins que cette approche hypothèque le caractère littéraire des nouvelles. Les personnages n'ont qu'un rôle secondaire et ne sont là que pour illustrer les théories de l'auteure. Paule Doyon a évacué chez eux tout sentiment, présage de la condition future des êtres humains. Tout en dénonçant la médiocrité et le primitivisme (« l'amour est un sentiment du cerveau primitif ») de l'homme, Rue de l'acacia élabore un discours en faveur d'une utopie non pas sociale mais spirituelle. L'incohérence de son propos – par ailleurs pertinent –, l'orthodoxie qu'il commande et l'énoncé de quelques sophismes m'ont fait grincer des dents à plusieurs reprises. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1985, Le Passeur, p. 47-51.

Références

  • Guy, Hélène, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VII, p. 808.
  • Le Brun, Claire, imagine… 32, p. 203-206