À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Envoyé par son père, Eirik le Rouge, pour conquérir le Nouveau Monde, entrevu quelques années auparavant par Bjarni Herjolf, Leif Ericson quitte le Groenland le quinze mai de l’an mille à bord du Sneggar dont l’équipage est composé de vingt hommes et de vingt femmes. Après le naufrage du Hildegar qui l’accompagne, le Sneggar est assailli par un serpent de mer à deux têtes, puis attaqué par un vaisseau rempli de goélands à visage humain. Malgré une ruse d’Adamantinus, moine irlandais qui a déjà converti au christianisme la moitié de l’équipage, Leif Ericson meurt dans les bras de la courageuse Freydis Karlsevni qui lui succède comme capitaine. À la suite d’un raz-de-marée causé par un gigantesque cachalot, le Sneggar se brise sur les côtes du Labrador.
Alors qu’ils construisent un nouveau drakkar, les Vikings reçoivent la visite des Sandix, mi-hommes mi-bêtes qui montent des caribous domestiqués. Alors que la folie est à son comble, Freydis Karlsevni réussit à prendre la mer. Après avoir bravé une tempête, le drakkar s’échoue sur la Côte-Nord habitée par les Skraelingars. Violée par leur chef qui sera décapité, Freydis Karlsevni donne naissance deux semaines plus tard à une géante, mais elle mourra des suites de l’accouchement. Sa fille, qui prendra son nom, s’enfoncera à l’intérieur des terres afin de réaliser la promesse faite par sa mère à la mort de Leif Ericson…
Commentaires
« Saga : récit historique ou mythologique de la littérature médiévale scandinave. » Au sens strict du terme, Jean Désy a eu raison d’intituler son récit La Saga de Freydis Karlsevni. Mais avec le temps, le mot saga s’est doublé d’une autre signification, celle d’ampleur, de sorte que le livre de 101 pages de Désy apparaît bien court pour une saga. Il va de soi que le projet est beaucoup moins ambitieux que celui de Paul Ohl qui a publié en 1989 un gros roman viking, Drakkar. Néanmoins, le style épique est au rendez-vous et comme on peut le constater dans le résumé que nous avons repris intégralement de la quatrième de couverture – pourquoi refaire un résumé quand il est écrit sur mesure pour L’ASFFQ ? —, les rebondissements ne manquent pas de même que les événements extraordinaires.
On s’étonnera d’autant plus de la fin abrupte du récit, fin qui laisse le lecteur sur l’impression que l’auteur n’avait plus rien à dire et qu’il ne savait comment conclure son histoire. En fait, cette fin illustre de façon patente que La Saga de Freydis Karlsevni, bien plus qu’un roman d’aventures, est avant tout une ode à l’intrépidité des Vikings et à la merveilleuse folie de ces explorateurs qui ont sillonné les mers inconnues. Cette folie qui s’empare de Freydis, obnubilée par la découverte d’un pays accueillant, m’a fait penser à quelques reprises à l’ambition démesurée et mystique de Lope de Aguirre cherchant l’El Dorado dans le merveilleux film de Werner Herzog, Aguirre ou la colère de Dieu.
Jean Désy pénètre ici au cœur de l’imaginaire viking qui se déploie dans la fantasy nordique. Les dieux païens (Thor, Odin, les Walkyries), les animaux fabuleux (le cachalot géant, les goélands à visage humain, les Sandix, mi-hommes mi-rongeurs aux mœurs particulières, les Skraelingars), les objets magiques (le cristal de spath) et les pouvoirs surnaturels du moine irlandais Adamantinus contribuent à cartographier la mythologie de ce peuple fier et guerrier. L’auteur a choisi de ne présenter qu’une facette de la civilisation viking. En relatant une expédition partie vers l’Ouest à la recherche de terres nouvelles, c’est la vocation de marins intrépides qu’il met en lumière. Le vocabulaire spécialisé de la navigation (tillac, gnomon, étambot) et de la civilisation viking (scramasaxe, mound, gneiss, feldspath) qui nous force à recourir au dictionnaire montre que l’auteur s’est bien documenté. Pour ma part, j’aurais aimé qu’il nous rende davantage familier avec les mœurs des Vikings vivant dans les bourgs de l’Islande ou de la Norvège. Une certaine lassitude nous gagne à la lecture des naufrages successifs de l’équipage de Freydis.
Quoi qu’il en soit, c’est par le rêve que Désy appréhende le mieux l’imaginaire viking. À cet égard, le long rêve prémonitoire de Freydis, d’un symbolisme très riche, contient l’essentiel du livre. Les mythes vikings y apparaissent sous un éclairage cru de même que les angoisses cachées de ces guerriers qui défient constamment la mort. Mais le thème le plus troublant qui se dégage de ce long rêve de la capitaine du navire, c’est celui de l’androgynie. Freydis se métamorphose en homme et se fait appeler Leif Ericson, du nom du chef qu’elle remplace. D’ailleurs, l’équipage du bateau contient autant de femmes que d’hommes et celles-ci occupent les mêmes fonctions que les hommes. Le roman de Désy nous rappelle que la civilisation viking exalte des valeurs comme la virilité, le courage, la gloire et la liberté.
Les personnages seront définis ou décrits en fonction de ces valeurs. Ainsi, on mesure rapidement l’étoffe d’un personnage comme Bjarni Herjolf. « Car il faisait partie de cette race d’hommes qui ont juste assez de cran pour semer le vent, mais sont toujours incapables de récolter une véritable tempête. […] Bref, Bjarni Herjolf n’avait que l’orgueil sans la bravoure. Il ne possédait que la raison cupide sans la véritable foi en l’inconnu. »
Dans ce monde masculinisé, la féminité est mise en veilleuse et la maternité passe au second plan ou est tout simplement niée. J’ai retrouvé dans la saga de Jean Désy les héros de mon enfance tels que je les avais connus dans une série télévisée – j’ai oublié le titre mais je me souviens qu’ils étaient trois frères, buveurs et bagarreurs –, plus grands que nature, excessifs, violents et farouches. Ils ont la fibre des personnages d’épopée, ces êtres taillés à la hache, sauf ce Svinafell, l’idiot du navire qui réussira à comprendre le langage des Sandix. Il me rappelle un peu trop Eddie le veinard dans la BD Hagar Dunor le Viking.
À première vue, La Saga de Freydis Karlsevni semble assez éloignée des préoccupations habituelles de Jean Désy. Il ne faut pas s’y fier. D’abord, le cadre de ce récit permet à l’auteur de retrouver un de ses thèmes favoris : la nature. Celle-ci est omniprésente, on s’en doute bien, et fait partie intégrante de la culture et de l’imaginaire du peuple viking. Tour à tour menaçante et invitante, objet de crainte et gage d’une terre accueillante, la nature entretient un rapport étroit et très riche avec les Vikings. En outre, il faut savoir que l’auteur considère ce roman comme une rêverie sur le froid qui constitue la partie fiction de sa thèse de doctorat en création littéraire. Si la société québécoise n’a pas de tradition maritime, elle peut très bien par contre se reconnaître dans cette civilisation marquée par le froid. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 73-75.
Références
- Martel, Clément, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 779-780.