Saison du miracle (La)

Dans Nnork, ville post-cataclysmique et décadente, une femme vit misé­rable­ment avec son brutal mari Hemm et leur nouveau-né infirme qu’il lui a permis de garder. Un après-midi, tandis que Hemm se laisse éclairer par la « Parole » d’un nouveau Prophète condamnant « les êtres anormaux, les nègres et autres choses impures », la femme sent monter en elle la convic­tion que l’enfant n’est pas simplement anormal mais plutôt supranormal, que malgré son bas âge (tout juste quelques semaines), il a pleinement conscience de ce qui se passe autour de lui et même de ce qui va se passer…

Le décor n’est pas nouveau, l’argument non plus, mais pourtant quelle atmosphère ! Avec une remarquable économie de moyens, Michel Martin esquisse le portrait d’une société décadente où xénophobie et tensions raciales sont plus que jamais exacerbées, où les gens sont plus que jamais réceptifs aux promesses de tous les faux messies et où les femmes sont redevenues objets et monnaie d’échange. Difficile de n’y pas reconnaître le futur (peut-être pas si éloigné qu’on le souhaiterait) de notre Amérique du Nord (Nnork ? New York ?), avec ses preachers fanatiques, ses rock-stars partisans de la ségrégation et de la violence inter-ethnique, ses publicités de bière ou de voitures peuplées de « poupées » en petite tenue. D’ailleurs, l’an­née 1989 aura été particulièrement prodigue en affirmations de la volonté phallocrate de réappropriation du corps féminin.

Tel un miroir déformant, le texte de Martin reprend et amplifie toutes ces données pour nous renvoyer un reflet plus grand que nature (et d’autant plus vrai) de notre société babylonienne ; ces images cauchemardesques nous hantent longtemps après la lecture de la nouvelle. Et plus on y pense, plus on en a froid dans le dos… [SP]

• Source : L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 130-131.