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Gilles travaille pour le Ministère des Affaires sociales du Québec. Il est médecin et chef de service d’un Centre où sont acheminés puis traités (tués) les postnataux dont ne veulent plus les mères. Celles-ci disposent, après un accouchement, d’un délai de 48 heures pour décider du sort du nouveau-né. Gilles et ses collègues connaissent une semaine de travail particulièrement mouvementée. Un scandale éclatera à la suite de l’enlèvement, par des membres de « Néo-Vie », de postnataux qui, n’ayant pu être traités au cours de la journée, avaient été laissés seuls pour la nuit dans les locaux du Centre.
Références
« Salut Gilles ! » est un texte provocant, troublant, dans lequel l’auteur prend position sur un sujet d’actualité pour le moins épineux : l’avortement. L’histoire se déroule dans un avenir proche, dans une société où la pratique de l’avortement postnatal est devenue routinière même si elle est toujours contestée. La banalité du quotidien revêt, dans cette nouvelle, les couleurs de la tragédie. Les postnataux destinés à mourir sont livrés, traités, empaquetés et étiquetés comme une vulgaire marchandise. L’auteur montre la détresse, la souffrance et surtout la grande vulnérabilité de ces petits êtres qui, encore chauds du souvenir utérin, se voient projetés dans les couloirs froids de la bureaucratie.
Champetier dénonce la légalisation de l’avortement ainsi que le manque de souplesse et la lourdeur du système bureaucratique. Il insiste sur le caractère inhumain du traitement réservé aux nouveau-nés rejetés par les mères et sur l’insignifiance de certaines lois qui vont à l’encontre des réalités sociales (on "élimine" des bébés alors que la demande en adoption est très forte). La volonté de convaincre le lecteur que l’avortement est un acte immoral, cruel et inadmissible conduit cependant à des exagérations et à la démesure.
« Salut Gilles ! » est un texte extrémiste, sans nuance (personnages et situations). Les bébés affamés et mouillés s’époumonent durant des heures sans que personne n’intervienne (on les laissera seuls sur l’heure du dîner ou toute une nuit), les personnages ne manifestent aucun respect à l’égard des fœtus postnataux et sont irrités dès le moindre écart à la procédure habituelle, les mères se débarrassent de leurs nouveau-nés par pur caprice, etc.
La nouvelle de Champetier frise la morbidité – le lecteur a par exemple droit à tous les détails sur l’ensachement mécanique des postnataux – et cherche à montrer qu’il n’existe, en principe, aucune différence entre un avortement à deux mois de grossesse et le traitement effectué sur les nouveau-nés : « Ce ne sont pas des bébés. Ce sont des fœtus postnataux. Des fœtus, la même chose qu’un fœtus d’un mois, deux mois, six mois ! Un avortement de deux mois de grossesse ou ce qu’ils (le médecin et les techniciens) font eux, c’est la même chose ! ». Le message est clair.
Ce texte de Champetier pose en fait de très bonnes questions (à quel moment le fœtus accède-t-il au statut d’être humain, et est-il possible de définir une telle démarcation ?) et suscite une réflexion nécessaire sur les droits du fœtus et de la mère. On peut cependant déplorer le fait que l’auteur s’attarde à une réponse et qu’aucun personnage – une mère par exemple – n’apporte un point de vue différent. « Salut Gilles ! » est un texte bien construit mais peu convaincant. [RP]
- Source : L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 47-48.