À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Quel drôle de zèbre qu’Opzoxlub, habitant de Shlurp, l’une des vingt-sept planètes du système Glub ! Parmi ses nombreux objets d’exécration, on compte la télé, les jeux, les voyages, les insectes, le changement et par-dessus tout, les fleurs, auxquelles il est allergique. Et chaque fois qu’il a faim, il téléphone au restaurant « qu’il déteste le moins » et commande toujours la même chose : un sandwich au nilou-nilou, « une sorte de légume semi-intelligent ». Mais un tueur en série qui s’en prend aux livreurs de restaurant sévit sur Shlurp, et Opzoxlub n’a pas mangé depuis maintenant six jours.
Le tueur est en fait un sandwich que notre héros a laissé pourrir tout seul au fond du frigo ! Il a pu sortir de sa « prison » grâce à la porte laissée entrouverte, a fui la maison d’Opzoxlub, a survécu des mois en se cachant et en se nourrissant de ce qui lui tombait sous la dent, s’est transformé en monstre immense et hideux, puis est revenu pour se venger de celui qui, par son indifférence, l’a condamné à une vie de paria au lieu de le manger quand il était encore un sandwich comestible. Au bout du compte, « U », le monstre, ne mangera pas Opzoxlub comme il l’avait d’abord prévu, mais le forcera à l’accompagner dans un voyage sur les autres planètes de Glub afin de trouver, sinon le sens de la vie, au moins un sens à sa vie.
Commentaires
C’est une histoire complètement loufoque, déjantée, que propose Emmanuel Aquin. Et, ce qui n’est pas si fréquent dans le cas des récits destinés à un très jeune lectorat, dépourvue de toute rectitude politique.
Qu’on en juge. Shlurp – plus une onomatopée qu’un nom – est une planète assez répugnante, l’égoïste Opzoxlub est dépeint comme résolument « antipathique », U est un monstre hypersensible composé de moisissure qui traîne dans son sillage une odeur pestilentielle (forcément !). Quant aux mondes visités, s’ils diffèrent complètement de la planète originelle des héros – suivant une stratégie narrative typique de l’ode à la diversité, fréquente dans la SF pour jeunes –, ils ne sont guère plus inspirants que Shlurp. Là encore, en somme, Aquin, qui ne s’adonne à aucun éloge de la différence, déjoue et moque les conventions.
Première escale du périple : Florimp, plus vaste forêt de l’Empire. La planète étant peuplée de végétaux – auxquels, on l’a dit, Opzoxlub est allergique –, le séjour s’avérera cauchemardesque. Les « hommes-plantes » parlent le Champignon, un charabia incompréhensible, sauf pour U : « Comme je suis fait de moisissure, il est normal que je comprenne le Champignon ! » explique le nauséabond ex-sandwich. Mais celui-ci avouera à ses hôtes que le sens de la vie façon florimpienne, soit macérer dans un seau d’eau jusqu’à ce que pousse quelque chose, ne lui convient pas. Il n’y aura donc pas de conciliation culturelle possible.
De toute façon, nous informe l’auteur, selon la Société pour la préservation de l’environnement de l’Empire glubien, seules deux espèces florimpiennes, sur les 2 711 968 que compte cette « planète botanique », méritent de survivre, dont les frenoups, « délicieuses en salade » !
La seconde escale, Gobo, peuplée de philosophes et de scientifiques, a été « colonisée par des intellectuels qui ont déserté leur planète natale où ils ne se sentaient pas appréciés ». Une fois de plus, c’est un monde qui, en raison des descriptions très ironiques de l’auteur, apparaît un peu ridicule, voire caricatural, et qui n’offre toujours pas de réponse satisfaisante à nos touristes de l’espace en quête de sens.
Mais aussi iconoclaste fût-il, Emmanuel Aquin ne pouvait pas laisser ses jeunes lecteurs en plan. Le voyage n’aura pas été vain car nos héros se sont trouvé une vocation. Sur Gobo, où les intellectuels sont trop occupés à parfaire leurs théories pour préparer les repas, le sandwich mutant U s’est découvert une passion pour la cuisine. Quant à Opzoxlub, il se voit désormais comme « le défenseur des pauvres âmes tourmentées par les horribles végétaux ». Très certainement une conséquence de l’horrible séjour sur Florimp, et pour un peu, notre éternel grognon en éprouverait du contentement !
Tout est bien qui finit bien, donc, mais entre-temps, Aquin aura mis à mal les clichés habituels de la littérature jeunesse. Cela se vérifie dans le ton distancié et sarcastique, dans le caractère des protagonistes, dans l’absence de morale, dans l’humour parfois « bête et méchant », même (si l’on me permet de paraphraser le slogan du magazine satiriste français Charlie Hebdo). Le Sandwich au nilou-nilou ? Fantaisiste, intelligent, jouissif, absurde et, en quelque sorte, proche de l’esprit des cartoons états-uniens façon Bugs Bunny. La qualité du vocabulaire – enfants, voire parents devront quelquefois consulter un dictionnaire – est également à souligner. [FB]
- Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 8-10.
Références
- Clément, Michel-Ernest, Lurelu, vol. 19, n˚ 2, p. 14-15.
- Desroches, Gisèle, Le Devoir, 16/17-03-1996, p. D 8.
- Sarfati, Sonia, La Presse, 03-03-1996, p. B 3.