À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Une jeune fille de seize ans meurt des fièvres. Sa grand-mère, qui vivait seule avec elle, l’accompagne jusqu’au cimetière puis quitte la région. Le même soir, trois hommes remarquent une lumière étrange irradiant de la maison qu’habitait la jeune fille. Pourtant, personne ne peut s’y trouver. Une crainte superstitieuse s’empare des hommes. Ils s’approchent de l’endroit. Tout s’éteint. Un des hommes, qui avait participé aux préparatifs des funérailles, comprend la situation. Le matin même, il a enlevé à la morte son scapulaire pour une dernière toilette, et il l’a épinglé près de la fenêtre. Il a oublié de le lui remettre. C’est sans doute l’objet béni qui brille ainsi dans le noir. Serait-ce un appel de la jeune morte qui désire recouvrer son bien pour accéder au ciel ? Le lendemain, le curé fait déposer le scapulaire sur la tombe. La lumière n’est plus revenue.
Commentaires
L’intérêt de ce conte religieux n’est pas dans la tension créée par l’étrange – bien qu’il y ait un court passage où l’inquiétude devient palpable – mais dans la qualité de la réflexion autour de la mort et de la condition humaine, et dans la qualité de l’écriture. Gauvreau choisit le registre de l’intime. Il s’intéresse aux réactions intérieures des individus face à la mort, au processus qui s’enclenche en chacun d’eux. La mort éveille instinctivement des peurs et des angoisses que seule la foi sait apaiser : la sérénité exemplaire avec laquelle la jeune malade accueille la mort le montre bien. Mais que peut-on contre l’oubli ? L’ange de l’oubli est cruel, il « ne respecte rien et le nombre de ses victimes se chiffre par la multitude de ses ricanements horribles ». Est-ce acceptable ?
Le narrateur approfondit alors la question des inégalités sociales. Les plus belles demeures et les plus beaux habits ne peuvent éloigner la mort. Et l’ange de l’oubli ne s’empêtre pas de considérations sociales. Les parias de la société le savent. Ils se consolent à l’idée que les mieux nantis seront un jour atteints. Se réconforter du malheur des autres peut paraître égoïste, mais « ce n’est après tout qu’un effet d’équilibre pour le plus grand bien de l’humanité ».
On voit bien que Gauvreau ne cherche pas, dans « Le Scapulaire de la morte », à entretenir un mystère par des revirements spectaculaires. Il préfère les nuances aux coups d’éclat, les réflexions aux actions. Ainsi, l’inquiétude des hommes ayant découvert l’étrange lumière est vite calmée. Aucune puissance maléfique n’entre en scène. L’effet fantastique est de courte portée ; il fait essentiellement ressortir la beauté de la foi. Que la jeune morte demande son scapulaire confirme d’ailleurs l’importance de l’objet sacré et, jusqu’à un certain point, l’existence de Dieu.
Charles Gauvreau se révèle beaucoup dans cette histoire. Il se montre sensible aux injustices de ce monde et aux plus démunis qui en sont le plus souvent victimes. Le conteur est aussi conscient de son rôle à jouer dans la sauvegarde des valeurs religieuses et de la culture : « Dans nos familles canadiennes on grandit avec ces belles croyances qui sont notre plus bel apanage, quoi qu’en disent les sceptiques et les voltairiens en herbe de nos jours. Avec ces croyances on s’élargit le cœur, on se dilate l’ouïe, on a l’illusion douce de la vie, on a la foi, on a l’espérance ! » [RP]
- Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 97-98.