À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un homme prisonnier au fond d’un puits en acier inoxydable rêve d’envoyer sept roses à la boulangère de l’angle du boulevard Diderot et de la rue Beccaria. Son seul espoir, l’homme qui de temps à autre passe à la brunante et lui dit que les secours ne sauraient tarder. Mais il refuse, arguant du manque de sérieux de la proposition. C’est vrai que le prisonnier ne connaît pas son nom, à cette boulangère – il ne l’a pas vue depuis quatre décennies – que la boulangerie a cédé la place depuis le temps à une banque… Déçu, le prisonnier du puits sombre dans sa mémoire.
L’homme prisonnier au fond d’un puits se remémore ce temps où, il y a quatre décennies, il n’était qu’un grand jeune homme apatride en quête de travail. Il restait dans ce vieux château transformé en refuge et avait continuellement faim. Un jour, menacé d’expulsion, il avait du prendre un travail au noir : laveur de vitrines.
Toute la semaine, notre homme trime comme laveur de vitrines dans un Paris peuplé de chemiseries, de bonneteries et autres magasins de confection. C'est pendant ce travail qu'il prend conscience de ce deuxième moi qui le suit pas à pas, l'observe du haut des édifices, l'enguirlande sur sa conduite. L'Autre, son alter ego né de la faim et de la misère. Mais voilà que, dans le métro, il oublie seau, blanc d'Espagne, éponge et peaux de chamois…
Samedi midi. Sa paye en main, le narrateur rage : deux jours de labeur retenus pour les pertes ! Non, jamais plus il ne travaillera pour cet escroc. Errant dans la ville, il mange dans un petit restaurant minable et presque tout son argent y passe. Ses pas le mènent ensuite au Jardin des plantes où il observe les singes, les reptiles. Son imagination est frappée par un petit lézard à tête de vieillard.
Le soir venu, le narrateur flâne toujours dans la ville puis décide de revenir au château en passant par le pont de Sèvres. Dans le métro, il erre entre le sommeil et la réalité. Sur le pont, il se remémore le pourquoi de son errance, le pourquoi de sa déchéance actuelle. S'ensuit une discussion animée avec l'Autre.
Le narrateur est découragé, en proie à des idées suicidaires. L'Autre essaie de le ramener à de plus saines dispositions. Alors qu'il s'apprête à sauter la rambarde, l'Autre recule son pied gauche dans une flaque d'eau froide et, sous le choc glacial, la griserie suicidaire s'évanouit. Tout comme l'Autre. Un nouvel espoir envahit lentement le narrateur…
Le lendemain, fort de deux petites annonces, il tente d'obtenir un nouveau travail mais toujours il recule devant l'inéluctable. Fatigué, il va chez son ami Milan qui lui offre de partager son repas. Mais il faut aller acheter le pain. Le narrateur y va. C'est là qu'il rencontre cette boulangère, cette indicible beauté qui se permet de vendre du pain même à ceux qui n'ont plus de ticket de rationnement…
Dans son puits, l'homme prisonnier ne se fait aucune illusion : jamais il n'arrivera à convaincre l'homme qui vient le visiter à la brunante de retrouver cette boulangère et de lui offrir ces sept roses.
Autres parutions
Commentaires
Les hasards de l'édition font que ce récit, publié en feuilleton dans Humanitas, paraisse en volume avant même la conclusion des épisodes. Ceci explique les commentaires « morcelés » que nous ferons ici, reliés aux épisodes du feuilleton…
L’écriture de Négovan Rajic, classique, belle, est capable de générer des atmosphères feutrées. Dès les premières lignes, l’auteur nous fait basculer dans un fantastique absurde avec cet homme dans le puits – qu’on se rappelle « Le Puits », nouvelle du même auteur qui inaugurait le cycle des Écrits d’un puits. De même, le dialogue qui s’en suit entre le pseudo-ami et le prisonnier n’est pas sans saveur et nous remet en mémoire certaines scènes de Ionesco dans Rhinocéros ou La Cantatrice chauve.
Dans la deuxième partie, l’auteur nous amène dans le passé du personnage principal et, encore une fois, l’écriture se concentre à établir l’atmosphère d’un lieu, d’une époque, ici peut-on penser au Paris de l’après-guerre.
On ne peut s'empêcher, en lisant la suite, d'être envahi par une incroyable nostalgie, comme si ces souvenirs n'avaient rien à voir avec la fiction mais participaient plutôt d'une triste réalité, celle de l'auteur, lui-même rescapé des camps de la Seconde Guerre.
Cette réalité mise en fiction, d'ailleurs, expliquerait peut-être l'errance poétique qui disloque la construction du récit : on n'écrit pas un journal romancé de la même façon qu'une fiction pure et simple. Mais ce sentiment de démantèlement erratique vient peut-être aussi du fait que l'auteur semble écrire au fur et à mesure son texte.
Et l'impression du lecteur ne change guère alors qu'il progresse dans la novella, car malgré l'intérêt certain des propos du narrateur, ses interrogations sur la pertinence des souvenirs et l'apport de la mort dans la vie, le projet global tarde à apparaître, apportant un peu de frustration au lecteur.
Or, pour le lecteur qui avait suivi la version feuilletonnesque, le livre n'offre qu'une vingtaine de pages inédites, soit les chapitres 7 – qui conclut le voyage mnémonique du prisonnier du puits et décrivant sa fameuse rencontre avec la boulangère – et 8 – ce dernier, très court, ramène le lecteur dans le présent du prisonnier pour le placer face à face avec ce dernier.
En quatrième de couverture, l'auteur nous indique la voie lorsqu'il parle de la mémoire de temps heureux. Sept roses pour une boulangère voudrait donc démontrer que le seul vrai trésor de l'homme déraciné reste sa mémoire – et toutes les connaissances qui y sont enfouies – et que personne ne peut lui enlever. En cela, l'homme dans le puits devient le symbole du déraciné et la boulangère celui du souvenir, indéracinable, inaliénable, éternel.
Un récit étrange de l'auteur des Hommes-taupes, peu convaincant de par sa construction débalancée, mais qui n'en dégage pas moins des effluves intéressants. [JPw]
- Source : L'ASFFQ 1986, Le Passeur, p. 116-117.
- Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 154-156.
Prix et mentions
Prix littéraire de Trois-Rivières 1988
Références
- Dupont, Caroline, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 792-793.