À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
L’action se situe vers 1916, à Québec. Par un beau soir d’été, le narrateur Paul Belmont soupe chez les parents de sa fiancée, Marie-Anne, qui habitent sur la côte de Beaupré. Au milieu de la soirée, ses hôtes et lui sont témoins d’un étrange spectacle : des lueurs rouges partent de l’île d’Orléans et vont se répandre sur la ville de Québec en face. Bientôt, il faut se rendre à l’évidence : la capitale est bombardée par un ennemi qui a su la prendre par surprise. Sous le couvert des activités économiques d’hommes d’affaires allemands qui ont acquis une partie de l’île d’Orléans, l’armée prussienne a installé son artillerie à portée de canon de Québec. En quelques heures, la ville se trouve aux mains des Prussiens, coupée du reste du pays.
Paul Belmont, qui est journaliste, organise la résistance avec son confrère Jimmy Smythe. Ils appellent les citoyens au calme et à la patience en leur promettant que le secours viendra sous peu. La passivité et l’indifférence de la population intriguent l’armée d’occupation. Quelques escarmouches sanglantes éclatent tout de même dans la campagne environnante de Québec. Les Prussiens, qui croyaient soumettre les autres villes importantes du pays, perdent leur assurance et sont bientôt débordés par la population qui se soulève et les renforts qui affluent vers Québec. L’envahisseur est proprement chassé et le peuple retrouve sa liberté. On apprend cependant dans l’épilogue que ces événements n’ont eu lieu que dans la tête de Paul Belmont, terrassé par un excès de fatigue et un médicament contre-indiqué, en ce soir d’été, veille de son mariage avec Anne-Marie.
Commentaires
Similia similibus ou La guerre au Canada est donc ce qu’il est maintenant convenu d’appeler un roman de politique-fiction. Ulric Barthe a recours au rêve pour, paradoxalement, renforcer le réalisme de la situation décrite. Ayant publié son roman en 1916, soit au moment de la Première Guerre mondiale, il se sert abondamment de l’actualité immédiate pour nourrir son récit.
L’auteur est d’ailleurs un ancien journaliste et ça paraît. Quand certains événements peuvent paraître peu plausibles, il fait référence dans des notes en bas de page à des faits réels qui ont eu lieu ailleurs. Il s’appuie sur des statistiques relatives à l’immigration allemande aux États-Unis pour expliquer la présence de troupes importantes au siège de Québec. En somme, le roman de Barthe repose sur un travail bien documenté à partir duquel l’écrivain extrapole à peine et de façon bien sage.
À vrai dire, ce n’est pas tant l’intrigue qui intéresse le lecteur d’aujourd’hui de Similia similibus que les valeurs qui sont véhiculées par le romancier. La fonction divertissante de l’œuvre, encore qu’elle ne soit pas négligeable, est éclipsée par la fonction politique qui sert à légitimer l’existence de cette œuvre d’imagination. Il me semble qu’il y a dans les œuvres de SFQ d’avant 1960 une constante à cet égard. Elles n’osent pas s’affirmer comme de véritables œuvres littéraires et ne sauraient exister sans valeur ou intention idéologiques.
Le roman de Barthe vise ultimement à défendre les valeurs britanniques comme l’indique clairement la dédicace du début : « À Sir Chariste LeBlanc, Lieutenant-Gouverneur de la Province de Québec, ces pages sont très respectueusement dédiées, dans l’espoir qu’elles ne seront pas inutiles à la cause sacrée pour laquelle tous les amis des libertés britanniques sont appelés à faire des sacrifices. »
L’enjeu posé par le récit de Barthe est en effet le suivant : le peuple canadien-français préfère-t-il vivre sous le régime britannique ou sous le régime allemand ? Prenant comme preuve l’immigration massive d’Allemands vers les États-Unis, l’auteur conclut évidemment que l’administration allemande serait plus sévère à notre endroit que le gouvernement britannique qui a su respecter notre langue et notre foi. Barthe fait donc appel ouvertement à travers ce récit à la loyauté du peuple canadien-français envers ses maîtres anglais.
Visiblement, Ulric Barthe n’appartient pas au même cercle politique que Jules-Paul Tardivel, auteur de Pour la patrie, considéré comme le premier roman québécois de science-fiction, promouvant de surcroît la thèse indépendantiste. Bien plus, son récit semble préparer les esprits à la proclamation de la conscription qui aura lieu en 1917 pour venir en aide à l’Angleterre. La situation est toutefois différente dans le roman, le peuple canadien-français étant directement concerné par les événements en raison de l’occupation armée de Québec. L’auteur serait plutôt un ardent nationaliste pancanadien si on relève les paroles que son interprète, Paul Belmont, échange avec l’Anglais de service, Jimmy Smythe : « En deux mots, nous sommes loyaux sujets britanniques ; mais note bien ceci, vous ne ferez jamais de nous des Anglais, pas plus que vous n’en avez fait des Écossais et des Irlandais» (p. 252).
Finalement, il s’en sort assez bien car il ne se fait pas le promoteur zélé d’un militarisme à tous crins. Il sait éviter le piège de la littérature raciste et ne tombe pas dans l’escalade verbale qui conduit inévitablement à la violence. Il est sauvé par un humour léger qui dissipe la lourdeur de l’atmosphère dramatique de la situation et désamorce l’engrenage de la surenchère haineuse que pourrait laisser présager le titre. Similia similibus curantur est en effet une locution latine employée en médecine qui signifie Les semblables se guérissent par les semblables. Autre expression pour la loi du talion, en somme.
L’humour de Barthe s’exprime particulièrement dans la description physique des personnages. Ainsi, de la page 170 à 178, il brosse le portrait de Gontran de Saint-Denis, un original sympathique qui rappelle la galerie de portraits peints par Louis Fréchette dans Originaux et Détraqués, recueil de nouvelles paru en 1892. Les personnages de Barthe sont bien typés, surtout les personages épisodiques ou secondaires. Le personnage du journaliste Paul Belmont demeure finalement assez effacé et serait vite oublié au profit de l’action s’il ne disposait de Jimmy Smythe comme faire-valoir.
Il est étonnant que le Prussien le plus antipathique ne soit pas le général Goelinger, commandant en chef de l’armée d’occupation, dont l’arrogance et la prétention cachent un sens de l’honneur louable. Le méchant allemand est plutôt incarné par Biebenheim, le rival amoureux de Paul. Le cauchemar de celui-ci est d’ailleurs déclenché par la visite inopinée du Prussien chez Marie-Anne et par la jalousie de Paul. La rivalité amoureuse se transforme par les caprices d’une imagination fiévreuse en conflit opposant deux nations. C’est ainsi que la belle Hélène a déclenché la guerre de Troie.
La première qualité de Similia similibus est de ne jamais ennuyer le lecteur, grâce à une écriture alerte et à un style bien tourné. L’auteur ménage aussi un habile dosage d’informations, de réflexions politiques et d’action. Ce qui a le plus vieilli, ce sont les nombreuses allusions à la culture grecque qui montrent que l’auteur a fait ses humanités. Ces références culturelles parlent moins à un lecteur d’aujourd’hui et les faits historiques évoqués par Barthe (la lutte entre Benborough et Beaumanoir, par exemple) n’éveillent aucune résonance.
N’empêche, le roman de Barthe mériterait d’être réédité car il constitue un document sociologique intéressant qui révèle les courants d’idée d’un peuple à une époque donnée. Certes, on n’écrit plus de cette façon aujourd’hui, mais qu’importe ! Un certain charme suranné émane de cette prose : « Tout dans cette sereine soirée d’Arcadie heureuse, parle de Paix – avec un grand P. Tout respire le repos bien gagné, la satisfaction du devoir accompli, l’action de grâces au Créateur de toutes choses, et aussi, dans une note moins solennelle, la joie de vivre !» (p. 22). Rares sont les passages édifiants dans ce récit dont l’ambition avouée est de donner un caractère épique à la bravoure et au courage de la population de Québec aux prises avec l’envahisseur prussien. Cela expliquerait la faiblesse du personnage central. Le héros de cette histoire, c’est une ville et non un individu. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1985, Le Passeur, p. 169-172.