À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Quelques jours avant les élections provinciales, on présente au Dr C. un homme de Sherbrooke. Ce dernier est prêt à gager cent piastres sur le résultat des élections à venir, des résultats qu’il énonce au vote près dans quatre comtés. Et s’il est si sûr de son pari, c’est qu’il a rêvé ces résultats, et quand il rêve, il ne se trompe jamais ! Croyant l’homme un peu dérangé, le docteur passe outre. Mais le soir des élections, il doit se rendre à l’évidence : les prophéties de l’homme se sont toutes parfaitement réalisées.
Commentaires
Le Dr C. annonce ses couleurs dès les premières lignes : « À cette heure, où La Patrie emploie ses reproductions et sa collaboration à nous conter des histoires fantastiques de chasse-galerie, de revenants, de télépathie, de fantasmagorie, je voudrais y joindre la mienne. Elle ne date pas de loin et vous allez voir que je n’invoque pas la tradition. »
À la suite de cet avertissement, nous avons droit à l’anecdote : la première partie établit la situation – nous sommes à la veille des élections, le Dr C. et ses amis, des libéraux de longue date, ne sont pas dupes des problèmes de leur parti ; suit la rencontre qui a lieu à la gare, près de la salle de télégraphie, et où la prédiction est annoncée ; enfin, la troisième partie a lieu après les élections et le docteur y certifie d’abord la prophétie de l’individu, puis met en relation ce fait étrange avec les recherches actuelles du professeur Charcot, de la Salpêtrière, sur la nature du sommeil et de l’hypnotisme qui nous révèlent des choses encore plus étranges sur nous-mêmes.
C’est, ma foi, écrit de façon alerte et sans prétention, et nous sommes effectivement loin de la tradition fantastique évoquée par l’auteur. D’ailleurs, l’esprit qui règne sur ce texte est celui d’un homme curieux, au fait de la recherche moderne et nullement moralisateur ; là aussi, nous sommes loin du fantastique traditionnel.
De fait, le Dr C. a construit sa nouvelle de façon à rappeler aux lectrices et lecteurs de La Patrie qu’en 1892, il y a bien d’autres choses extraordinaires que les vieilles légendes de la chasse-galerie, des revenants, du diable et des lutins. Convenons que, de la part d’un médecin, et donc d’un homme au fait de la science et de sa méthode, la publication d’un tel texte résolument contemporain a dû surprendre plusieurs des fidèles du journal La Patrie.
De là à dire que ce conte est essentiellement une réaction contre le conservatisme du fantastique traditionnel et son obsession de la religion, de la morale et de l’irrationnel serait allé un peu loin. Cependant, l’esprit scientifique qui imprègne ce texte est singulier pour l’époque, puisqu’il exige que le phénomène extraordinaire ne soit pas seulement présenté, mais bien « étudié » et « mis en relation » avec des observations et des expérimentations scientifiques contemporaines. Cette volonté « explicative » indique clairement que « La Somnopathie » est un des rares textes de véritable science-fiction à avoir été publiés ici au XIXe siècle… sinon le premier ! [JPw]
- Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 38-39.