À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Chapitre 1 : Dans un parc, une conversation. Le narrateur (ou la narratrice, le sexe est indéfini), membre d’une collectivité non nommée, se promène dans un parc sans comprendre les paroles échangées entre « les humains », et dont l’échantillon présenté semble en effet dépourvu de sens. Il ou elle remarque aussi que si lui/elle et leurs congénères effraient les animaux, les humains « font comme si de rien n’était ».
Chapitre 3 : Anna Vermuelen, un mariage raté. Anna Vermuelen (« bonne et lourde Flamande ») descend au laboratoire souterrain de sa maison, où elle étudie et dissèque le cadavre d’un homme blanc apparemment empoisonné. Ce laboratoire est bien fermé car de grosses « larves » se promènent un peu partout dans la ville et sont parfois entrées dans la maison.
Chapitre 6 : Un gardien : qui sait ? Je et Nous continuent leur exploration de la ville, toujours sans comprendre « l’effroyable babillage sans queue ni tête » apparemment délibéré des habitants. Contrairement à l’habitude des humains, une femme semble le voir. Je la suit donc. Et se retrouve prisonnier et momentanément aveuglé dans le noir, malgré les nombreuses pupilles qui couvrent son corps, avec la femme qui lève une seringue. Puis, changement de point de vue, Anna Vermuelen saute sur « le monstre » et le pique. « Le poison ferait-il son effet ? »
Épilogue : Une ombre s’étend chaque jour davantage sur la ville, celle d’un Dieu « maintenant indifférent » mais dont la vengeance sera « lente et terrible ».
Commentaires
Lorsqu’on lit un texte écrit à partir d’une contrainte, sur commande, jusqu’à quel point doit-on prendre ce contexte en compte ? La réponse ordinaire est que le texte doit transcender la contrainte et non se contenter d’y répondre de manière mécanique. Je ne sais si elle s’applique ici. Le présent texte a été publié dans un spécial de la revue imagine… « Décollages » qui demandait aux écrivains de produire seulement le début et la fin, fracassants si possible, d’un roman rêvé, tout en appariant écrivains et illustrateurs pour susciter une dynamique mutuelle, d’une part, et pour donner au lecteur à travailler à la fois dans les images et dans les mots, d’autre part. Intéressant projet, qui a suscité chez Robert Dion les « chapitres » titrés que j’ai tenté de résumer.
L’autre question qui se pose ici, c’est la toujours fascinante « jusqu’à quel point peut-on ne pas dire ? » : l’usage de l’ellipse dans l’écriture. Les illustrations de Mario Giguère ne donnent guère d’indications (sinon une époque, le XIXe siècle, une scène de dissection par une femme et la confirmation de l’aspect chenille/larve de Je-Nous, laissant ouverte la question : dans quel sens a fonctionné ici la dynamique désirée ?). Mais les fragments de chapitres en donnent presque assez pour que la lecture reconstitue une amorce de scénario cohérent, quoique relativement classique : envahisseur possiblement extraterrestre (les larves), résistance pas tout à fait passive de la population (le langage inventé, les analyses clandestines), tout en laissant – comme les titres des chapitres – des zones d’ombre déclencheuses d’hypothèses – d’histoires – chez le lecteur (pourquoi ce cadavre d’homme blanc empoisonné, alors que c’est Je qui l’est peut-être au chapitre 3 ? Quel est le Dieu maintenant indifférent et pourquoi exactement va-t-il quand même se venger ?). Il n’est pas jusqu’à la rupture narrative du point de vue dans le chapitre 3, qui ne suscite des réflexions : maladresse de l’auteur ou choix délibéré et donc signifiant – mais de quoi ?
Bref, l’exercice d’écriture nous renvoie ici à notre statut de lecteur, en nous rappelant que nous travaillons toujours dans un texte même si nous n’en avons pas conscience (et plus encore dans nos genres, où le déchiffrage des indices devient une seconde nature). La question de la qualité ou non du présent texte, en soi, devient alors plutôt non pertinente. On peut cependant se poser en dernier ressort la question : « Aimerais-je lire ce roman (ou cette novella, plutôt, sans doute) s’il était complet ? » Je répondrais, quant à moi : « Peut-être ». Mais je suis un peu bizarre… [ÉV]
- Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 65-66.