À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
L’espion européen Réjean Tanner débarque sur la planète Nouvelle-Chine. Nous sommes au début du XXIVe siècle. La planète a été colonisée une centaine d’années auparavant par les Chinois, grâce à des prêts importants consentis par l’Europe et le Japon. Sur Nouvelle-Chine, les relations entre Néo-Chinois et Terriens se détériorent. Le peuple néo-chinois, étouffé par sa dette, aspire à l’indépendance. La Zone de libre-échange commercial (la ZLEC), où vivent et travaillent les Terriens, abrite un réseau d’espionnage. Étant donné la sévérité de la crise politique, le Bureau européen d’espionnage décide de contacter un espion néo-chinois qui, depuis de nombreuses années, recueille des informations pour eux. Mais voilà que la taupe ne se présente pas au rendez-vous. Tanner a comme mission de retrouver cette taupe, qui s’avère être le vice-président de la Nouvelle-Chine, et de ramener les informations. Mais rien ne se déroule comme prévu…
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Joël Champetier choisit la Chine comme principal point de référence culturelle à l’action de son premier roman pour adultes. L’histoire de La Taupe et le Dragon se déroule dans les années 2300, sur une planète nouvellement colonisée par les Chinois. Sur Terre, le visage de la Chine n’est plus celui que nous lui connaissons aujourd’hui. Fortement nipponisée, la Chine urbaine compte alors parmi les grandes puissances économiques de la Terre. La Chine rurale cependant, avec son milliard d’habitants, continue de s’accrocher à des valeurs plus traditionnelles tout en nourrissant quelque nostalgie pour la Chine impérialiste.
La découverte d’une planète habitable à soixante années-lumières de la Terre, une planète dont personne ne veut à cause de l’intensité des rayons ultraviolets émis par une étoile proche, attire les Chinois ruraux qui voient l’occasion de réaliser leur rêve d’une société fondée sur la morale confucianiste et taoïste. Plusieurs Chinois choisissent aussi l’exil pour accéder à certaines libertés comme celle de procréer à volonté. Il ne faudra donc pas s’étonner de retrouver dans ce roman une société chinoise pour le moins hétéroclite, à la fois archaïque et moderne, tournée vers le passé et vers l’avenir.
C’est que Champetier représente une société en crise, un peuple en quête d’autonomie. Les Chinois ont réussi à prendre possession d’une terre hostile à la vie, mais encore leur faut-il reprendre possession d’eux-mêmes. Une certaine sympathie envers les Néo-Chinois (les opprimés) transparaît d’ailleurs dans ce texte. Les plus grands corrompus se trouvent du côté du pouvoir, des riches, de l’Occident terrien : Blœmbergen et Barnaby, de la ZLEC, ne se laissent arrêter par aucun principe, alors que les Chinois montrent un attachement à des traditions et à des valeurs humanistes, et manifestent un désir de s’inscrire corps et âme dans l’espace et le temps. Après un attentat au cours duquel est touchée la femme de Blœmbergen, ce dernier ordonne « l’extermination » de tous les espions chinois œuvrant sur le territoire de la ZLEC. Tâche à laquelle veillera Barnaby, sans manifester la moindre hésitation ou le moindre remords. D’un autre côté, le vice-président néo-chinois Shaoxing, cette taupe recherchée par Tanner, refuse de livrer les informations recueillies : l’homme, présenté comme un fin lettré, choisit l’intégrité par rapport à lui-même, même si cela équivaut à un suicide.
Quant aux deux principaux protagonistes, les espions Tanner et Hamakawa, ils se montrent plus ouverts à la culture chinoise que leurs collègues. Ils échouent cependant dans leur quête et se retrouvent en quelque sorte du côté des perdants, des victimes. Les personnages sont ainsi, dans La Taupe et le Dragon, clairement « campés ». C’est comme s’ils n’étaient là que pour les besoins d’une intrigue. Leur psychologie n’est guère fouillée. Jamais je n’ai eu le sentiment qu’il s’agissait d’individus complets. Jamais je n’ai cru à leur personnage.
L’exotisme constitue un des intérêts majeurs de La Taupe et le Dragon. Un exotisme qui joue à plus d’un niveau : aux particularités climatiques, géographiques et physiques du nouvel environnement s’ajoute en effet le caractère proprement exotique de la culture chinoise. Pour le lecteur, le dépaysement sera doublement ressenti. Dès les premières pages, la présence de l’Œil du Dragon sur Nouvelle-Chine intrigue, fascine, inquiète. L’intensité des rayons ultraviolets fait obstacle à la culture comme à l’élevage, et constitue une menace terrible pour la vue. L’Œil du Dragon impose de nouveaux modes de vie – le port de lunettes, de chapeaux et de gants, la construction d’écrans protecteurs, une réorganisation importante de l’emploi du temps de manière à éviter l’exposition aux rayons ultraviolets, etc. Champetier a dessiné son décor avec soin et il décrit entre autres fort bien l’alternance et le jeu des ombres et de la lumière.
La Taupe et le Dragon tient à la fois du roman d’espionnage et de la science-fiction. Double appartenance. Comme le personnage principal sera double, ou les nuits sur Nouvelle-Chine seront doubles (nuits vertes et nuits noires)… Mais La Taupe et le Dragon reste avant tout un roman d’aventures : poursuites et filatures, arrestation, évasion, confrontations, catastrophe naturelle, alliés épisodiques, attentat, etc. Tout cela entremêlé à une histoire d’amour, dans un décor propice à l’aventure. Champetier a le sens de l’action et un imaginaire riche.
L’intrigue pourra toutefois décevoir par son manque de nuance, de complexité, de vraisemblance. Aucun suspense ne tient le lecteur en haleine, aucune énigme ne le pousse à l’effort de reconstruction du scénario. Tout est donné. Les personnages voyagent, traversent mer et désert, se livrent à leur enquête. L’auteur retient de l’espionnage l’aspect strictement spectaculaire. Je dirais même visuel. La Taupe et le Dragon est un roman qui se voit plus qu’il ne se vit. Les personnages agissent plus qu’ils ne s’interrogent. L’action et le dialogue l’emportent sur l’introspection. Le roman, qu’il soit d’espionnage ou non, permet pourtant, comme genre, une analyse plus approfondie de la psychologie de personnages et même de peuples. Ce qui me fera dire que La Taupe et le Dragon se lit comme un grand roman pour adolescents. À moins qu’il ne s’agisse d’un roman pour grands adolescents…
L’intérêt du livre réside donc essentiellement dans le décor imaginé et la description de certains traits chinois. Le lecteur pourra aussi s’amuser à établir quelques parallèles avec la situation politique et sociale actuelle. Car la quête politique du peuple néo-chinois ne va pas sans évoquer celle du peuple québécois (qui semble éternelle). Et n’avons-nous pas amèrement constaté récemment, avec le cas Morin, que le Québec cachait ses propres taupes ? Quant à l’Œil du Dragon, qu’il nous suffise de rappeler les avertissements entendus depuis quelques années. La destruction de la couche d’ozone n’a rien de réjouissant… [RP]
- Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 47-49.
Prix et mentions
Prix Boréal 1992 ex æquo (Meilleur livre)
Références
- Baril, Raymond, imagine… 60, p. 104-105.
- Bonin, Pierre-Alexandre, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IX, p. 774.
- Bonin, Pierre-Alexandre, Collections, vol. 2, n˚ 6, p. 17.
- Dubois, Christian, Impact Campus, 08-06-1999, p. 15.
- Fortier, Christine, Voir (Montréal), 05/11-08-1999, p. 42.
- Jacques, Paul, Magazine Le Clap, printemps 92, p. 10.
- Lamontagne, Michel, Solaris 99, p. 42.
- L'Heureux, Serge, Le Nouvelliste, 22-05-1999, p. 6.
- Martin, Christian, Temps Tôt 21, p. 39-40.
- Mirandette, Marie-Claude, Le Devoir, 12/13-06-1999, p. D9.
- Parenteau, Karine, Le Sorteux, mai 1999, p. 12.
- Pelletier, Francine, Samizdat 21, p. 30-31.
- Trudel, Jean-Louis, Samizdat 21, p. 36-37.
- Trudel, Jean-Louis, The New York Review of Science Fiction 61, p. 20, 22-23.