À propos de cette édition

Éditeur
Hurtubise HMH
Titre et numéro de la collection
L'Arbre HMH
Genre
Science-fiction
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
213
Lieu
Ville LaSalle
Année de parution
1984
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Commentaires

Attendu depuis quelques années, voici enfin le deuxième recueil de Jean-Pierre April. Il fait suite à La Machine à explorer la fiction, paru en 1980 au Préambule. TéléToTaliTé regroupe cinq nouvelles dont une seule, « L’Éternel Président », est inédite. Les quatre autres sont parues entre 1980 et 1983, dans des médiums comme Espaces imaginaires, imagine… ou Solaris.

La première observation concernant ce recueil est sa remarquable homogénéité thématique. On cause des apparences, de l’évanescence de la réalité, des simulacres… en relation directe avec les médias électroniques qui rendent l’homme sensible à ces angoisses encore insoupçonnées il y a quelques temps. Peurs nouvelles, nous dit April, car elles nous viennent directement de l’emprise énorme exercée par ces médias sur notre mode de vie. Que ce soit l’utilisation biaisée de notre bonne vieille télévision, de la TD fiction ou de la stéréo-fusion, l’humain est agressé par ces réalités fabriquées de toutes pièces et qui l’assaillent sans relâche, tant et si bien que la vraie réalité s’estompe dans une non-existence. D’ailleurs, connaissons-nous vraiment notre réalité, et si oui, est-elle véritablement l’ultime, se plaît à nous rappeler April à travers ces nouvelles.

Semblable en cela à Philip K. Dick, April nous entraîne dans un dédale de paliers de conscience où se perdent les protagonistes. Dans « Trois vies dans la nuit d’un sous-homme », par exemple, Emmanuel Simson, à force de nager dans la réalité subjective de la stéréo-fusion, verra celle-ci s’immiscer dans sa réalité première de condamné pour crime passionnel. Mais sait-il où est sa réalité ? Et à quoi bon la vivre si l’autre est plus gratifiante ?

Interrogation des plus actuelle, le propos d’April n’est pas de nous montrer le chemin de la vérité. Il s’agit plutôt de nous permettre d’explorer ensemble une série d’avenues possibles et d’en soutirer tous les enseignements valables pour les pauvres vingtièmistes que nous sommes. Car, semble nous dire April, nous ne sommes qu’à l’orée de la véritable révolution visuelle. Nous abordons le début de l’ère de l’information et la réalité sera bientôt manipulée de façon industrielle.

Retombée logique à cet univers sur-optimiste cher à la révolution hippie, les futurs d’April n’ont rien d’amusant. La consommation a repris au centuple ses droits et le consommateur lui-même devient produit de consommation. La sensation d’écrasement face au gigantisme de l’hyper-civilisation tehcnologique de demain entre en parfaite relation avec les désillusions d’une certaine génération soixante-huitarde à laquelle appartient l’auteur, puisqu’il est né en 1948.

Appuyant tout ceci, il y a l’écriture convulsive d’April. On sent la volonté de frapper par une image, d’accrocher par la force de la situation. Derrière le propos, c’est le flash qui permet de démarrer toute l’histoire. Encore une fois comme Dick, April ne s’embarrasse pas d’une écriture soignée, d’un style travaillé. Non, ce qui importe ici, c’est le rythme, l’atmosphère trépidante, la saturation, l’image, la syncope, oserais-je dire. C’est peut-être pour cela que les principaux points faibles des nouvelles de Jean-Pierre April se situent généralement dans les scènes lentes.

Dans « L’Éternel Président », une belle histoire de généraux et dictateurs sud-américains, quelques passages tournent à vide. Temps morts de la nouvelle, ces passages ne réussissent pas à capter l’attention, comme si la réalité ne cadrait plus. Le rythme se casse, on nage dans l’indécision. Comme si les personnages d’April ne pouvaient vivre en tant qu’eux-mêmes. Quelques lignes plus loin, l’action s’emballe à nouveau et… le lecteur aussi.

Même chose dans « Chronostop », la nouvelle la plus décevante du recueil. Les passages relatant Le temps d’une paix, pour ne nommer que ceux-là, désamorcent complètement l’allure échevelée des premières pages. Le personnage, devenu statique, n’arrive pas à s’affirmer par lui-même : il lui manque une dimension, celle de l’action justificatrice. De plus, la fin m’est apparue bâclée, comme si April s’était désintéressé lui aussi du sort de ses personnages.

C’est tout le contraire dans « TéléToTaliTé » : le souffle qui anime au début cette histoire de programmes-pirates qui s’infiltrent dans le réseau de la Télé Directe – TD – dégénère rapidement en un ouragan qui balaie tout sur son passage, même le lecteur.

Détail révélateur, l’un des personnages qui essaie de voir clair dans tout cet imbroglio sur les réalités artificielles qui se combattent s’appelle Dick… Donald Dick ! Comme quoi le côté satirique et même bouffon d’April n’a aucune limite.

Deux nouvelles se distinguent dans ce recueil. La première, « L’Éternel Président », par son néo-réalisme trop peu souvent employé par l’auteur, apporte une agréable nouveauté dans l’univers d’April. L’autre« Canadian Dream », par sa remarquable force imaginaire, représente l’un des plus beaux exemples d’uchronie jamais écrit. Malgré une grande ambiguïté d’écriture qui n’aide aucunement à la compréhension de l’histoire, cette nouvelle, par son ton résolument platonique, amène habilement le lecteur aux frontières de l’invraisemblance. Le jeu des réalités qui s’interpénètrent et s’auto-influencent par le biais d’un sorcier africain, la banalité presque étrange des personnages qui peuplent cette nouvelle et la fin apocalyptique laissent le lecteur sur une forte impression par rapport à notre propre réalité et à la véritable réalité de ce Canada que nous pensons connaître.

TéléToTaliTé est un recueil dense qui, en aucune façon, n’épargne l’intellect de son lecteur. Par le biais d’une thématique solide, d’une écriture débridée, continuellement satirique, et d’une imagination remarquable, il nous amène à revoir notre optique sur cette réalité qui nous entoure aujourd’hui et à nous pencher sur celle qui nous accueillera dans ce XXIe siècle qui n’est plus qu’à quinze années de nous. [JPw]

  • Source : L'ASFFQ 1984, Le Passeur, p. 17-20.

Références

  • –––––, Nuit blanche 17, p. 64-65
  • Janelle, Claude, Solaris 59, p. 28.
  • Lacroix, Pierre Djada, Carfax 5, p. 52.
  • Provencher, Marc, imagine… 26, p. 96-100
  • Painchaud, Rita, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VII, p. 871-872.
  • Ruel, Hélène, L'Union, 16-04-1985, p. 54.