À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Jean-Loup occupe l’emploi de livreur d’épicerie pendant les vacances scolaires. Un de ses clients, Konstantin Ronos, l’intrigue particulièrement parce qu’il achète huit litres d’huile d’olive à chaque semaine. Comme il doit déposer les denrées devant la porte et s’en aller après avoir sonné, il n’a pas eu l’occasion de rencontrer le vieil homme qui commande par téléphone. Un jour, la porte étant entrebâillée, il pénètre dans la demeure où le propriétaire le surprend, lui offre à boire et lui fait visiter sa collection de montres et horloges en tous genres. Quand il revient à l’épicerie, Jean-Loup est certain d’avoir pris un retard considérable mais le patron le félicite pour la rapidité de son service. Jean-Loup se rend compte que le temps passe beaucoup moins vite dans la maison du mystérieux K. Ronos. Il l’interroge et celui-ci lui révèle être le dieu Cronos en charge de faire tourner la Terre, dont une représentation beaucoup plus modeste occupe le sous-sol. L’huile d’olive sert à lubrifier le système qui maintient le mouvement giratoire de la planète. Tout ce qui arrive à cette maquette survient de façon très amplifiée à la planète. Pour convaincre Jean-Loup, Cronos le fait vieillir et rajeunir en un clin d’œil et crée un volcan sur la planète dont on parle immédiatement aux nouvelles télévisées.
Trois jeunes délinquants du quartier offrent à Jean-Loup de divertir le vieillard pendant qu’ils iront vider la maison. Le jeune livreur refuse malgré les menaces. Il court avertir Konstantin ; comme il ne le trouve nulle part, il descend à la cave et ose toucher le globe terrestre. Lorsque le dieu le trouve, Jean-Loup lui révèle la menace qui ne semble pas le troubler outre mesure. Lorsque les trois crapules se présentent chez lui, Cronos fige le temps et s’amuse à les déguiser en clowns avant de les mettre dehors et de reprendre le fil du temps. Jean-Loup apprend le lendemain dans les journaux que son geste a provoqué un raz-de-marée qui a causé la mort de plus de 200 000 personnes. Se sentant coupable, Jean-Loup tente d’éviter le vieillard qui, pourtant, lorsqu’il est informé du méfait, le prend assez légèrement puisque lui-même, au cours de l’histoire, a provoqué certains fléaux.
Les trois voleurs décident de contraindre Jean-Loup à collaborer en kidnappant son chat. Grâce à la photo de son chat prise par les filous, Jean-Loup arrive à identifier le domicile où est caché le félin et il entraîne Cronos à sa recherche. Bredouilles, ils reviennent à la maison du vieux dieu, l’esprit aux aguets. Effectivement, ils surprennent les trois larrons à l’œuvre. Cronos est assommé et Jean-Loup, maîtrisé. Les jeunes malfaiteurs trouvent le globe terrestre et Jean-Loup fait tout son possible pour que rien de fâcheux ne lui arrive. Les voyous raniment Konstantin qui hurle sa divinité outragée. Pendant la bagarre qui s’ensuit, la terre chute. Au cri de Jean-Loup, Cronos fige instinctivement le temps. Il songe à tout le travail que représentera le déménagement de la boule et à tous les soucis qu’il endure depuis des siècles sans aucune considération de la part des humains et, d’un geste, laisse le globe tomber. Jean-Loup sent le tremblement du sol sous ses pieds : la fin du monde est arrivée.
Commentaires
Ce dix-septième titre de Jean-Pierre Davidts offre une histoire courte fort originale. Le début semble emmener le lecteur vers des clichés : le vieil homme mystérieux, la maison vieillotte et isolée, la collection de montres, le jeune homme curieux… ; la table est servie pour un meurtrier bien organisé et un cadavre. Le titre est en partie responsable de cette perspective. On y lit d’abord l’usure du temps qui amène inexorablement à la mort…
Cependant, survient l’identification du vieil homme, nom que l’on décode tout de suite, qui lance l’histoire dans une tout autre direction. Et c’est là que le titre révèle son sens véritable par un procédé fantastique : il faut le prendre au pied de la lettre, car c’est bien le personnage incarnant le temps qui cause le geste fatal. Ce dieu très humanisé, désabusé et lassé de son rôle, qui décide de se suicider en même temps que de détruire toute l’humanité, est en rupture avec l’habituel destin héroïque. L’amalgame de la mythologie grecque, fortement remaniée à la sauce contemporaine, crée une vision très postmoderne de l’apocalypse.
Le véritable clou de cette œuvre est la maquette terrestre et les conséquences de ce qui lui arrive. Le destin de ce « jouet » se répète en miroir sur l’original, comme la poupée vaudoue qui représente la victime visée. L’auteur réactualise donc l’idée d’un dieu omnipotent qui joue avec les humains et les manipule à sa guise : cependant, il ne peut le faire qu’à une dimension réduite dont les conséquences sont ensuite multipliées sur la Terre. La technologie du système est banale, mais elle se marie avec des effets surnaturels effrayants. Ces pouvoirs entraînent aussi des devoirs, comme l’entretien du mécanisme et le secret du phénomène et du lieu. Ces exigences perdent de leur intérêt lorsque les humains les considèrent banalement, comme allant de soi. Il n’y a là plus de mystère, plus de sacré.
Le jeune héros, Jean-Loup, représente le monde réaliste qui entre en contact avec le monde fantastique. Il est le lien entre les deux perceptions, c’est par ses pensées intérieures qu’on fait connaissance avec l’étrange vieillard. Il s’agit d’une classique narration externe avec focalisation omnisciente. Le trio des jeunes voyous ne soulève l’intérêt que parce qu’ils sont les agents provocateurs du geste final et fatal. Ils viennent perturber le fragile équilibre établi entre Jean-Loup et K. Ronos. Ils donnent une caution moraliste à l’histoire : les vilains provoquent des catastrophes dont on doit les punir. Et comme ce dieu est fatigué de glaner, il jette le bon grain avec l’ivraie ! En cela, on peut lire que la recherche égoïste de biens matériels mènera le monde à sa perte, surtout si les bonnes âmes, humaines ou divines, décident d’abandonner la lutte.
Ce roman, paru dans la collection Peur de rien, ne fait réellement pas peur en lui-même. Mais si on ose croire à l’existence d’êtres aussi blasés que K. Ronos ou aux menaces répandues par la propagande politique terroriste et antiterroriste, le parallèle est troublant. Si l’homme continue à se battre pour la possession du globe et à le polluer, il va effectivement créer un déséquilibre irrémédiable : les sursauts climatiques et la montée de la tension dans la politique internationale en sont déjà des indices… Il y a de quoi réfléchir. [AL]
- Source : L'ASFFQ 2000, Alire, p. 50-52.
Références
- Roy, Simon, Lurelu, vol. 24, n˚ 2, p. 32.