À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
De l’au-delà où il se trouve après sa mort, un auteur révèle aux lecteurs endormis son dernier roman qu’il n’a pas eu le temps d’écrire.
Pierre Couillard part au Mexique pour un petit bled au nom imprononçable choisi au hasard afin d’y vivre des aventures qui inspireront l’écriture de son prochain roman commandé par son éditeur, Edgar Dutroult. Alors qu’il est étendu sur la plage, une jeune femme, Carmina, l’invite à la suivre dans un endroit caché en montagne où elle lui montre sa poitrine tatouée des noms des hommes qui lui ont fait des misères. Saisi de peur à l’idée d’avoir rencontré une folle, Pierre s’éclipse et monte dans l’auto de Manuel, un révolutionnaire du rire, interdit dans cette dictature. Ils se font prendre par une milice. Ils sont emprisonnés et torturés par un colonel à moustache.
Libéré sans aucun bien, Pierre part à la recherche du bureau d’American Express où une jeune employée, Jane, lui donne son adresse en cachette. Il s’inscrit impulsivement à une corrida navale pour obtenir le prix en argent et gagne. Un richissime industriel du cigare le prend sous sa coupe et lui offre une fête pour l’occasion. Pierre va chercher Jane qui devient sa lubrique compagne. Honneur supplémentaire, le maire, Pablo Castaneda, désire le faire chevalier de l’Ordre de Don Juan. Lors de cette soirée, Pierre tue le colonel tortionnaire invité parmi les notables avant de s’enfuir avec l’aide de Carmina. Les deux fugitifs se réfugient dans une cabane dans la montagne où ils expriment leur sensualité. Cependant, Pierre est constamment réveillé par des cauchemars.
Le maire convie le chef de police à retrouver, par concupiscence, le fuyard pour lequel il a le béguin. Le chef de police, Carlos Delaga, accepte. Il retrouve Pierre et le ramène à Pablo, le surprenant en pleine séance de lacérations et d’hallucinations. Comme le maire possède des renseignements compromettants sur lui, le chef de police le soigne et devient complice des perversions sexuelles qu’il fait subir à Pierre pendant plusieurs jours. Pendant que l’un des moustachus abuse de Pierre, attaché et à moitié inconscient, l’autre prend des photos. Carmina retrouve Carlos Delaga et, afin de lui faire avouer où se trouve Pierre, elle se donne à lui. Au moment crucial, elle le castre et il meurt avant de lui donner l’information recherchée. Elle trouve cependant les photos des sadiques et le magot que le policier s’était constitué grâce à des magouilles.
Au moment même où son bourreau allait trancher la langue de Pierre, Carmina survient et pulvérise le maire de plusieurs coups de feu afin de le handicaper à vie sans le faire mourir. Ils s’exilent tous deux dans une villa fort éloignée en forêt. Carmina ne peut plus faire l’amour avec Pierre depuis qu’elle a vu les photos. Ils décident de se quitter et de revenir à New York en avion. L’appareil tombe et Pierre reconnaît son cauchemar.
Commentaires
Cette histoire aux multiples rebondissements loufoques pourrait fort bien faire une bande dessinée (érotique ou pornographique, selon le point de vue). Afin de rendre le foisonnement, Pierre Desfossés a outrepassé les limites du langage et a joué autant avec les mots qu’avec les situations : « zizisection », « vergectomie », « self-content »… C’est à une véritable jubilation des mots et des sens que l’auteur nous expose. Il ne fait pas dans la demi-mesure.
Le héros est capable de se sortir indemne, ou presque, de toutes les situations. Il se trouve beau, il réussit ce qu’il entreprend et les femmes, comme les hommes, ne peuvent résister à son charme. « J’ai joui comme une brute […], joui en presque simultané avec Carmina […] et à l’apex de cette apothéose, j’ai cru voir Dieu lui-même me sourire du haut du ciel […]. Je parierais qu’il ne vous est jamais arrivé de truc pareil. Ne vous en prenez qu’à vous-mêmes. On a les orgasmes que l’on mérite. » Les malheurs passent sur lui sans affecter sa mentalité d’adolescent narcissique : « Avouez que c’est impressionnant, non, de pouvoir se broder de telles calembredaines avec une crapule logée dans le fondement, alors même que la balance de votre existence ne pèse pas lourd dans les registres de la Providence. »
Il ne faut pas chercher la profondeur et le tourment chez ces personnages dont les égos sont très grands, autant chez les bourreaux moustachus que chez les victimes qui arrivent toujours à se venger et à faire la nique au destin : « cockpit fracassé, et Carmina aussi, tu cries, la force de l’impact, je t’écrase, on s’écrase, l’impact, impact dur, interminable, à la toute fin, me projette [mon sexe], de justesse, dans ton vagin. » La sexualité y est omniprésente et est un objectif en soi, puisqu’elle est une des manifestations de l’aventure ; en effet, les sensations fortes jusqu’à la perversion sont recherchées par la plupart des personnages.
Le procédé fantastique provient de la dictée de cette histoire racontée par un mort. Il y a donc un double récit avec un long retour en arrière : celui d’avant la mort (récit second) et celui d’après (récit premier). Cela permet, grâce à la narration de plusieurs « je », de pénétrer dans la tête de plus d’un personnage. Cette tactique narrative est plus fréquente dans la dernière partie du roman où l’on passe de la conscience de Pierre à celle de Carlos à celle de Carmina. Comme le mort s’adresse au lecteur, il faut jouer le jeu malgré les incohérences qui s’ensuivent : « voici le récit de mes derniers mois de vie tel que je l’aurais écrit n’eût été ma mort inopinée. » De toute façon, Tous les tyrans portent la moustache tient davantage de la pataphysique que de la physique et de la métaphysique, faisant surtout fi de la banalité. [AL]
- Source : L'ASFFQ 1999, Alire, p. 61-63.
Références
- Fortin, Marie-Claude, Lettres québécoises 97, p. 22-23.