À propos de cette édition

Éditeur
Pierre Tisseyre
Titre et numéro de la collection
Conquêtes - 58
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
182
Lieu
Saint-Laurent
Année de parution
1996
ISBN
9782890516182
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Commentaires

Comme le titre l’indique, le recueil nous offre treize nouvelles qui, à quelques exceptions près, peuvent être qualifiées de fantastiques. Il se divise en deux grands blocs – des enfants comme héros d’un côté, des collégiens de l’autre – et des récurrences dans les thèmes ou les climats confèrent à l’ensemble une certaine uniformité. Cela se vérifie par exemple dès les cinq premières nouvelles, dont les protagonistes principaux sont des enfants qui présentent tous des degrés divers d’anxiété.

Dans « “Bonne Nuit, fais de beaux rêves”, dit le Croque-Mitaine », Cynthia, fille d’avocat, croit aux monstres depuis que sa mère a déserté le très cossu domicile familial. Égaré dans l’immense entrepôt du père Noël, le petit Pascal de « Les Mains ouvertes » songe, tout en cherchant ses parents, que ceux-ci étaient moins affectueux avec lui ces derniers temps. Dans « Solo de trompette », l’enfant virtuose Gabrielle, qui craint tant le chef d’orchestre que son colonel de père, finira par sortir de son instrument le « chant fatidique » entre tous. Dans « Idée noire » germent en Luc, huit ans et appréhendant le châtiment maternel après avoir triché dans un examen final, une « minuscule pensée », un « souhait fugitif » qui se concrétiseront miraculeusement. Dans « Quand Charlie est parti », un jeune Noir est battu à mort après avoir osé rétorquer à ses persécuteurs.

Tout laisse croire que les héros des six nouvelles suivantes fréquentent le même cégep, car un certain Marc Rivard est vu fugacement dans trois d’entre elles. Dans « Un drôle de pistolet », un homme se disant menacé de mort parce qu’il en sait trop (un paranoïaque ?) conduit au cégep un jeune rencontré sur la route : celui-là même qu’« on » a chargé de son exécution ! Dans « Qui est à l’appareil ? », un cégépien est enlevé par une étrange entité. Le narrateur de « Stella by Starlight » a la chance d’avoir trouvé la femme idéale – Stella, son étoile ! –, alors qu’Élisa, la jeune barmaid de « Heure de fermeture », a comme cliente sa propre incarnation à l’âge mûr. Le héros de « À l’index » semble succomber à une surdose, mais il y a ce livre, Sept personnages en quête d’eux-mêmes, qui s’écrit au fur et à mesure… Dans « L’Aventure d’un Kancre las » est appliquée une méthode évaluative qui a de quoi rendre fou.

Le narrateur de « À l’heure des repas », vraisemblablement interné en établissement psychiatrique, a-t-il lui aussi sombré dans la folie ? En tout cas pour la prise de sang, encore aujourd’hui, son infirmière « n’a comme d’habitude pas apporté de seringue ». Dans « Une dernière bouffée de rêve », enfin, Marie-Claire Beaulieu, treize ans, aide sa grand-mère agonisante, qui jadis vendit les souvenirs de son défunt mari pour quelques dollars, à récupérer un rêve, afin que celle-ci puisse mourir sereinement.

Dans ce recueil aux nouvelles de longueur très inégale – de 2 à 44 pages –, Stanley Péan n’est jamais aussi efficace que dans la brièveté. Il est du reste symptomatique que « “Bonne Nuit, fais de beaux rêves”, dit le Croque-Mitaine » et « L’Aventure d’un Kancre las », les deux textes les plus longs, soient les moins réussis. Le premier, énième variation sur le thème du Bonhomme Sept-Heures, s’étire indûment pour cause de surabondance de détails. Quant au second, il prend appui sur la réforme de l’enseignement collégial qui faisait alors des vagues et sur un très réaliste discours ministériel fictif. Sont parodiées là les absurdités pédagogiques et la logorrhée technocratique dont le système d’éducation n’a jamais été avare, mais la parodie perdurant, c’est la nouvelle elle-même qui en vient à prendre une tournure logorrhéique.

En revanche, lorsqu’elliptique, Péan sait divertir brillamment. Dans « Les Mains ouvertes », l’immensité des lieux – vus à hauteur d’enfant, ils semblent encore plus démesurés – contribue à l’instauration d’un climat d’angoisse subtile, et croissante. À la fin Pascal, empoigné par « ses prétendus parents », sent « les griffes des pattes velues qu’ils avaient jusqu’alors gardées dans les poches de leurs manteaux ». Dans « Solo de trompette », tous les lecteurs adolescents ne devineront peut-être pas que la trompette discordante de Gabrielle annonce l’apocalypse – une chute ingénieuse de la part d’un auteur fin connaisseur de jazz et trompettiste amateur –, mais ils saisiront aisément le message antiraciste de « Quand Charlie est parti », où l’agonie et la mort d’un jeune Noir de onze ans peuvent être lues aux sens propre et figuré. « J’ai pris sa place. Mon nom est Charles-Alexandre Joseph […] et je ne laisserai plus jamais personne lever la main sur moi ! » dit le narrateur de la nouvelle à la toute fin.

Péan creuse encore plus la veine métaphorique dans la très légère « Stella by Starlight », où d’ailleurs on cherche un peu le fantastique, et « Heure de fermeture », où est exploité un thème convenu, soit un face-à-face avec son propre avenir, avec l’homme ou la femme que l’on risque de devenir au mitan de sa vie si l’on conserve les mêmes penchants. Et c’est bien sûr contre une piètre image d’elle-même que la barmaid Élisa se voit mettre en garde.

L’ombre de l’écrivain fantastique H.P. Lovecraft se profile dans « Qui est à l’appareil ? » et « À l’index », écrite également sous l’égide de Pirandello (Six personnages en quête d’auteur). Les deux nouvelles, à la chute invraisemblable à souhait, sont aussi très représentatives d’un recueil où le fantastique se dessine dans des situations et des décors hyperréalistes. Puis se produisent une petite bizarrerie, un rien un peu étrange, un pas de côté qui signent la fin de tous les repères habituels.

Et c’est ainsi que de façon générale, Treize pas vers l’inconnu se démarque moins par l’élégance que par l’habileté du style, et la capacité qu’a l’auteur de créer des univers décalés faisant osciller le lecteur entre la réflexion (meilleur exemple : « Quand Charlie est parti ») et le simple divertissement (« Solo de trompette », « Qui est à l’appareil ? », pour ne mentionner que celles-là). Et au final, nous sommes en présence d’un recueil de nouvelles plus qu’acceptable. [FB]

  • Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 156-158.

Références

  • Sainte-Marie, Sophie, Lurelu, vol. 19, n˚ 3, p. 24.