À propos de cette édition

Éditeur
Les Herbes rouges
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
202
Lieu
Montréal
Année de parution
1995
ISBN
9782894190807
Support
Papier

Résumé/Sommaire

La journaliste Charley Melrose écrit une série d’articles sur les écrivains. Elle va s’intéresser tout particulièrement à V.G., un auteur tout aussi narcissique et névrosé que ses semblables. Ils nouent une relation amoureuse un peu sporadique. V.G. lui parle de l’écrivain argentin Ernesto Sábato, et Charley décide de lire d’un trait sa trilogie qui l’impressionne beaucoup elle aussi.

V.G. l’emmène à Blue Mountain Lake, où il possède un chalet dont l’atmosphère est propice à l’inspiration. En effet, il est tourmenté par ses difficultés d’écriture. Durant la semaine qu’ils y passent, V.G. emploie ses après-midi à tenter d’écrire, en vain. Charley constate, déçue, qu’ils ne se sont nullement rapprochés durant ce séjour.

Tous deux cessent de se voir, sans avoir officialisé cette rupture. Après plusieurs mois, Charley retombe sur un des livres de Sábato, le relit, et se sent motivée à retrouver V.G. Ce sera Fulvio Bellaspina, une connaissance commune, qui lui révélera où se cache V.G. qui a reçu une offre troublante de la part d’un mécène, lequel lui demande de pénétrer le monde des ténèbres pour ensuite rédiger un livre sur le sujet. Charley retrouve V.G. à une soirée donnée par un richissime éditeur qui a fait fortune en publiant de la littérature ultra-commerciale.

Ce n’est qu’après six autres mois que Charley reçoit un signe de vie de V.G. : un manuscrit dont la transcription occupe la deuxième moitié d’Un homme défait. V.G. y raconte que c’est une lointaine connaissance, un Libanais nommé Abbad Schatan, qui lui a proposé d’écrire un livre sur le monde des ténèbres. Cette proposition l’angoisse ; il repense à Sábato, au chapitre d’un de ses livres intitulé « Rapport sur les aveugles ». Il lui est venu l’idée qu’en fait, Sábato a dû substituer les mots, qu’au départ cette société secrète d’aveugles était en fait celle des éditeurs, qui de toute évidence sont des alliés des ténèbres, et que l’on a altéré son œuvre pour protéger la confrérie malsaine qui exploite les écrivains. V.G. refuse l’offre, quitte son emploi, se prend un petit appartement miteux. Son inspiration reste bloquée ; ce n’est que quand il se met à boire que sa plume se libère.

Mais plus il écrit, plus il sent les ténèbres se resserrer sur lui. Une nuit qu’il erre au cœur de Montréal, éperdu, il tombe sur Fulvio Bellaspina qui lui raconte sa brève liaison avec une mystérieuse aveugle nommée Nastassia. Les derniers mots de la jeune femme sortent tout droit d’un livre de Sábato ! Ébranlé par cette étrange coïncidence, V.G. fouille ses archives, trouve dans un journal à scandales la mention d’une comtesse aveugle qu’il croit bien être la même personne. Pis encore : la comtesse a fréquenté dans sa jeunesse une famille d’immigrants italiens, les Grisi. Or un roman inachevé de V.G. mettait en scène un dénommé Vittorio Grisi – et quand il tente de retrouver la chemise où il avait rangé son manuscrit, celle-ci est vide !

V.G. se rend visiter Abbad Schatan, qui est à la fois éditeur et antiquaire – il ne vend que des antiquités ayant un lien avec des écrivains, tel l’abat-jour d’une lampe de table ayant appartenu à Borges. Schatan explique à V.G. que Nastassia n’a jamais été ni comtesse ni aveugle, qu’il s’agit d’une criminelle dont les larcins concernent uniquement les écrivains, et qu’il lui sert de revendeur à son corps défendant. Dans l’arrière-boutique de Schatan, on imprime des livres avec des presses manuelles à l’ancienne ; V.G. aperçoit même son manuscrit dérobé sur le coin d’une table.

Le lendemain, lorsqu’il veut discuter de tout ceci avec Bellaspina, il apprend que l’Italien est rentré précipitamment à Rome. Quant au magasin de Schatan, des déménageurs sont en train de le vider. V.G. rencontre un ami professeur à l’Université de Montréal et lui raconte son aventure. L’ami l’emmène précipitamment au département des lettres où, coïncidence, le conférencier Roberto Echo vient parler de son dernier ouvrage.

Le flamboyant Echo raconte à V.G. avoir eu affaire autrefois à un homme qui répond au signalement d’Abbad Schatan, et l’identifie au Diable en personne. V.G., qui a reçu de Schatan un duo de livres que l’on croyait perdus à jamais, craint pour la suite des événements. Il se réfugie à Blue Mountain Lake, où il couche son histoire sur le papier, trouvant ainsi une certaine sérénité. Mais plus il écrit, plus sa vue baisse, jusqu’à ce qu’il atteigne la conclusion et que la nuit l’envahisse parfaitement.

Commentaires

Je ne savais trop que penser au départ de ce livre fort bellement écrit mais un peu complaisant. J’ai bien davantage apprécié la deuxième partie, d’abord parce qu’il s’y passe plus de choses, mais aussi parce que j’ai lu Le Nom de la rose et Le Pendule de Foucault d’Umberto Eco et que je pouvais apprécier les allusions à ces ouvrages. Je ne connais pas du tout l’œuvre de Sábato – j’ai même, je l’avoue, longtemps espéré que ce soit un écrivain imaginaire, ce qui rendrait les évocations de ses romans encore plus savoureuses. Je ne suis donc pas capable de voir les clins d’œil qui auraient enjolivé la première partie.

Il faut dire aussi que le personnage de Charley Melrose est assez peu intéressant. C’est la narratrice de la première partie, et pourtant elle se décrit comme si c’était V.G. qui la voyait. On ne saura pas grand-chose d’elle. Elle a beau définir tous les écrivains comme narcissiques, je ne la trouve pas moins imbue d’elle-même que ne l’est V.G. Leur relation est bien triste : elle carbure au désir sexuel mais pas à grand-chose d’autre. Ce n’est qu’à son terme que Charley se rend compte qu’elle n’a presque rien appris sur V.G. – je suis persuadé que c’est réciproque.

Charley et son écrivain forment un couple comme j’en ai vraiment trop vu en littérature. Elle est fantasque, il se lamente que l’univers ne reconnaît pas son talent. Ils boivent de l’alcool cher, ils fument, ils passent des heures dans un bar tandis qu’il pérore sur la noblesse de l’art et se lance dans des théories philosophiques délirantes, puis ils vont chez elle baiser. Le train-train quotidien est banni de la vie de ces êtres d’exception dont on ne nous décrit que les surfaces et qui finissent par se quitter comme ils s’étaient attachés : sans raison perceptible.

Certes, Un homme défait n’est pas un roman d’amour, et la deuxième partie nous confirme que Roger Magini s’y permet une satire du monde des écrivains. V.G. lui-même est par intermittences conscient qu’il délire ; et je ne crois pas qu’il nous faille prendre sérieusement la soirée mondaine où V.G. explique à Charley qu’il est plus fréquent qu’autrement qu’un écrivain marchande son corps en même temps que son manuscrit… Il reste que les affres philosophiques de V.G. ne sont pas ridiculisées comme elles le mériteraient et que ses délires poussent le bouchon un peu loin, surtout pour un lecteur de SFF habitué à observer des réifications d’idées étranges. Les inquiétudes de V.G. relativement au royaume des ténèbres, moteur émotionnel de la deuxième partie, m’ont paru manquer de support – peut-être que si j’avais lu Sábato, le lien aurait été plus clair.

En fin de compte, Un homme défait est une expérience de lecture plutôt plaisante, surtout en matière de style, recommandée si vous êtes familier avec les œuvres qui l’ont inspirée, mais moins si vous n’êtes pas en mesure de goûter toutes les allusions. J’aurais souhaité un meilleur équilibre entre la première et la deuxième partie, et sans doute un épilogue plus convaincant. Mais dans cette histoire où tout est toujours inventé (devons-nous vraiment croire que V.G. est devenu aveugle ? que Charley reste indifférente à son sort ? que Schatan, Nastassia, Bellaspina aient été qui ils prétendaient être ?), une seule chose est certaine : la subjectivité du texte. La réalité à l’intérieur des frontières de l’ouvrage reste insaisissable. Si je n’ai pas pu croire à l’angoisse métaphysique de V.G., au moins j’ai goûté le plaisir de son auteur à tisser une toile de coïncidences qui n’en sont pas, le plaisir de construire un monde imaginaire à partir seulement des mots : l’écriture, à la fois fragile comme une bulle de savon et irrésistiblement puissante dans sa subjectivité même. [YM]

  • Source : L'ASFFQ 1995, Alire, p. 119-122.

Références

  • Otis, Christine, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IX, p. 833-834.