À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un matin, voyant son mari Robert partir une nouvelle fois avec un simple petit bonjour distrait, elle crie : « Mais, tu ne m’aimes plus ? », voit qu’il a l’air hagard, perdu, mais elle se met à rire, dédramatise l’affaire. Alors qu’il est parti, elle entend du bruit à l’intérieur de chez elle. Un homme est là, qui déjeune nonchalamment, un autre Robert, plus jeune, et qui a cette voix et ces attentions qui, à l’époque… Mais elle est une femme honnête, et… Et elle l’écoute, il lui montre le gazon à l’arrière, tendre, puis elle le croit parti et il lui montre la chambre, qu’il a redécorée, et… Quand elle lui demande de partir, il s’en va… Mais elle le revoit, l’autre côté de la rue, puis plus tard, au marché, et, oui, partir, pour un petit voyage… Quand Robert l’appelle à cinq heures, elle n’ose lui dire que, mais quand il arrive, changé, plutôt guilleret, disant qu’un petit voyage leur fera du bien, elle hésite, ne sait plus… il n’était pas l’autre, non, mais il l’est devenu.
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Commentaires
« Un tout petit voyage… », publié en décembre 1960 dans la toute nouvelle revue Châtelaine, est fascinant à plus d’un point de vue. Si on s’attarde à l’élément fantastique, on note qu’il n’entretient aucun lien de parenté avec le fantastique traditionnel ou religieux. Ici, tout comme le font déjà depuis quelques années certains praticiens étatsuniens – comme Richard Matheson, pour n’en nommer qu’un –, c’est de la réalité moderne que surgit le fantastique, de son mode de vie trépidant et de ses nouveaux gadgets. Dans « Un tout petit voyage… », Jasmin, plutôt que d’utiliser le ressort psychologique pour faire avancer son texte, fait donc littéralement se déverser dans la réalité quotidienne le fantasme de cette femme de trente-six ans, mariée depuis dix ans, qui se désespère dans sa solitude de femme à la maison et devant l’apathie de son mari.
L’autre élément intéressant du texte, outre l’écriture toujours alerte mais un peu brouillonne de Jasmin, ce sont les réactions qu’il prête à sa narratrice. Elle sait qu’elle devrait réagir d’une autre façon devant cet étranger dans sa maison, mais… elle ne veut pas tromper son mari, mais… Une véritable valse à deux temps d’où, il est essentiel de le remarquer, est exclue toute considération religieuse si on pense à l’institution du mariage.
Quant au final, il est révélateur de l’époque… et n’oublions pas que ce texte est paru dans une nouvelle revue féminine qui se veut le reflet de la nouvelle société québécoise ! Que la narratrice décide, finalement, d’accompagner le nouveau venu dans un petit voyage en délaissant son Robert est une décision radicale pour l’époque, voire choquante et totalement immorale – même chose de nos jours, direz-vous, mais bon, on en a lu d’autres ! Était-ce trop « cru » pour la rédaction ou est-ce le choix premier de Jasmin ? Toujours est-il que, par un habile retour des choses – et en l’occurrence, du mari –, l’auteur ramène la norme acceptable et voici que, à la toute fin, Robert rentre à la maison métamorphosé : il est tout guilleret et c’est lui-même qui propose à sa femme un tout petit voyage, histoire de rompre la monotonie et de se retrouver… Bien entendu, la lectrice aura alors compris que Robert avait bel et bien entendu, au matin, le sens profond de l’interrogation de sa femme : « Mais, tu ne m’aimes plus ? »
« Un tout petit voyage… » est une nouvelle qui n’est pas passée à l’histoire, mais lorsqu’on la regarde avec une perspective qui frôle le demi-siècle, on en saisit mieux l’importance et la perspicacité… d’autant plus qu’elle est issue d’une plume masculine ! [JPw]
- Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 111-112.